République à vendre
Lorsqu’à la radio, jadis, les gens hurlaient que le Togo est un pays bizarre, un pays extraordinaire, un pays à part, un pays unique en son rare genre, je me sentais blessé dans mon ego de togolais, blessé dans mon amour patriotique. Je traitais les auteurs de telles paroles de sinistre imbéciles, de sombre idiots, de traitres, de vendus, d’avortons belliqueux. J’étais même prêt à présider le Tribunal qui pourra les juger pour atteinte suprême à l’honneur de la nation, blasphème nationale, manque de patriotisme, espion à la solde de puissances étrangères, tentative de déstabilisation de la belle et paisible terre de nos aïeux. A défaut, j’étais prêt à en venir aux mains, histoire de leur faire vomir le lait pourrit que ces vendus ont pu sucer des maudites mamelles de leurs mères. Seulement maintenant, je me rends compte que je n’avais absolument rien compris. J’étais dans un flou total, j’étais ignorant des poignantes et troublantes réalités de ma nation, le Togo. Eh bien, la corruption, active ou passive, il faut l’avoir vécue, il faut l’avoir pratiquée, il faut l’avoir subie, pour mieux l’appréhender. Des classements donnent au Cameroun le triste record d’un des pays les plus corrompus au monde. Mais avez-vous pris la peine de bien étudier le phénomène au Togo ? Bon sérieusement, je n’ai aucune envie que mon pays dispute la place peu enviable du Kamer, mais il faut reconnaitre que la corruption, ça nous connait aussi au Togo.
Corruption, trafics d’influences, favoritisme,… d’accord, cela existe sous d’autres cieux. Même Sarkozy intervient pour Bolloré. Seulement là ou il y a matière à polémique, c’est lorsque toutes les institutions de la république se prostituent. Eh oui. Tout se vend, et tout s’achète, au grand dam des fonctions régaliennes de l’Etat. Il existe deux types de prestations de services, en fait. Les prix que tout le monde connait, c’est-à-dire les prix fixés par l’Etat lui-même pour bénéficier de ses services ; à côté, il existe les prix additionnels, c’est-à-dire les montants que chacun décide d’ajouter au premier prix, dans le but d’obtenir le même service.
Dans le premier cas, vous avez un quitus, bien cacheté avec signature de l’autorité compétente. Muni de votre reçu, vous devez vous armer de patience, également. Cela signifie que vous n’êtes pas pressés, vous faites confiance en l’ Etat, vous avez tout le temps qu’il faut. Dans le second cas, vous êtes un peu acculé, vous n’avez pas vraiment le temps pour les tracasseries administratives. Le protocole, vous le respectez mais vous savez que cela peut aller plus vite. Le phénomène s’est installé, et a pris de l’ampleur, au point d’envahir le secteur informel. Partout où l’on passe, il est possible de passer avant les autres, de bénéficier d’un traitement de faveur, d’avoir des privilèges, d’entrer dans le cercle très fermé de ceux qui peuvent être au dessus de la loi. Je me suis amusé à recenser les divers secteurs touchés par ce cancer, voilà ce que cela donne, en grosso modo :
Avoir son bol de bouillie rapidement : 25 FCFA
Avoir son plat à la cafète : 50 FCFA
Faire une carte d’identité en 3 jours : Crédit de communication de 2.000 FCFA
Faire un passeport en une semaine : crédit de communication de 4.500 FCFA
Légalsier un document à la mairie en 2h : 1.000 FCFA
Violer un feu tricolore le Week-end: 1.000 FCFA
Déposer simple demande de stage: 2.000 FCFA
Avoir un rendez-vous avec un Directeur: 5.000 FCFA
Avoir un rendez-vous avec un Ministre: 15.000 FCFA
Avoir un rendez-vous avec le Président de la République: Euuuh, j’y suis jamais allé.
Pouvoir rencontrer le médecin: 1.300FCFA
Avoir place assise dans le transport commun: 200 FCFA
Des exemples, j’en ai toute une multitude, et je sais que chacun de vous a, à un moment de sa vie, a « mouillé la barbe » à un agent de l’état. Cela est pourtant triste, car en fait, ce pourquoi nous payons n’est pas une faveur, ni quelque chose d’extraordinaire, en fait. L’agent ne fait que son boulot normal, ce pourquoi il a été recruté, ce pourquoi il touche un salaire à la fin du mois! S’il ne le fait point, il sera viré et remplacé par un autre agent. Certains payent, juste parce qu’ils pensent être pressés, d’autres le font parce qu’ils pensent que c’est comme cela que ça se passe, et pourtant il n’en est rien.
Je ne m’érigerai guère en donneur de leçons, mais que chacun prenne ses responsabilités. Il y va de la survie de la nation. Mais ceux qui voudront s’inscrire dans la logique de la continuité, vous avez déjà un bref aperçu des tarifs. Pour le reste, vous pourrez me contacter.
De toute façon, retenez que la corruption, passive ou active, est punie par le Code Pénal Togolais.
J’ai dit
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