2 novembre 2012

Entre valise et cercueil, les intellectuels togolais hésitent et se taisent

Crédit image: Google

Salam aleykoum, chers lecteurs. Aujourd’hui, je me suis proposé de plancher une fois de plus sur la situation peu reluisante de mon pays le Togo. Dans d’autres billets, j’ai abordé le problème sous l’angle de la passivité de la population (désobéissance civile), sur l’apoplexie intellectuelle de la jeunesse (relève de demain), et sur l’engagement personnel de chaque citoyen (autopsie d’une société pas très civile…) cette-fois, j’aimerai me pencher sur le mutisme des intellectuels togolais.

Qu’il me soit permis d’utiliser le mot « intellectuel » dans son sens le plus restrictif, c’est-à-dire ceux qui savent lire, écrire, compter, et qui sont autorisés à transmettre leur savoir. Je désigne, alors, nos maitres d’écoles primaires, et secondaires d’une part, nos enseignants, nos docteurs, nos maitres de conférence, nos professeurs titulaires, nos agrégés des universités… d’autres part.

Nos enseignants, en leur postes et grades respectifs, mènent des réflexions, sont capables de raisonnements, écrivent des articles, font des recherches, publient des résultats desdites recherches… dans tous ces travaux, ils sont entourés d’apprenants, à qui ils transmettent leur connaissances, avec qui ils partagent des points de vues ; des apprenants pour qui ils sont des modèles, des dieux, en quelque sorte. Hormis les réflexions pédagogiques et didactique, ces enseignants, surtout ceux de l’enseignement supérieur, participent fortement à l’édification de la patrie à travers leurs prises de positions, leurs différents engagements, leurs critiques à l’endroit des autorités publiques, à l’endroit du parti au pouvoir tout comme à l’endroit des partis de l’opposition. Dans une certaine mesure, s’ils ne participent pas directement à la vie politique, en adhérant à des partis politiques, ils l’influencent au moins à travers leurs écrits, pensées et réflexions.

L’idéal même au sein d’une nation, c’est que les intellectuels adhèrent clairement à des partis politiques. Il faut des gens pour faire des marches de protestations, descendre dans les rues, faire des démonstrations de forces, mais il faut également, et c’est le plus important, des gens capables de mener des négociations, des personnes qui, grâce à leur charisme, à leur intelligence, à l’influence qu’ils ont sur une bonne partie de la population (les étudiants sont forcément influencés par leurs enseignants), sont capables de discuter sur un pied d’égalité avec le parti au pouvoir, capables de définir une orientation claire aux partis politiques, et de leur proposer des programmes de développement.

Bref recensement de nos intellos…

Des intellectuels, nous en avons au Togo, et point des moindre. Tout d’abord, parlons de ceux qui ont pour mission d’éduquer : les acteurs de l’enseignement supérieur.

De la Faculté de Médecine à la Faculté des Sciences Humaines, en passant par la faculté de Droit, Linguistique, Sociologie, Anthropologie, Économie et gestion, Communication et information, Histoire, Biologie… l’Université de Lomé, comme celle de Kara regorge  d’enseignants, de docteurs, de maitres de conférence, de professeurs titulaires, d’agrégés des universités…

Les Professeurs Akuété P. Santos, (Doyen de la Faculté de Droit de l’UL), Komi Wolu, (Chef département du Droit Privé), Dodji Kokoroko, (Chef Département Droit Public), Adama Kpodar (Vice-doyen de l’Université de Kara), Agbenoto K.,  Deckon K., Adjita A., Kessougbor K.,… des imminents juristes, tous agrégés des Facultés de Droit ; les Professeurs Mujiyawa, Assimadi (paix à ton âme, oncle) , Adorglo, James,… tous des agrégés des Facultés de Médecine ; permettez, pour des raisons de commodité, que j’occulte les autres Professeurs…

Le triste et amer constat…

Voyez-vous, toutes ces imminentes personnalités du monde universitaire togolais et mondial, sont malheureusement muettes. Intellectuellement parlant, ils sont incollables, sagaces, excellents et maîtres dans leurs respectifs domaines d’interventions. Mais politiquement parlant, ils sont plus discrets. Vous ne les entendrez jamais se prononcer sur une gaffe économique, sur une bavure politique ; vous n’aurez jamais leur point de vue sur la gouvernance actuelle ; ils ne sont jamais interviewés sur des sujets de l’actualité.

Que le fisc ou le service des douanes commettent des exactions, vous ne verrez jamais un expert du droit des sociétés comme le Pr Santos dénoncer quoi que ce soit ; qu’un hôpital manque de matériel ou de personnel qualifié, l’adroit chirurgien James ne dira mot. Ainsi va le Togo. Vous ne verrez jamais, au sein des instances dirigeantes d’un parti de l’opposition, ou du parti au pouvoir, un Kokoroko, un Kpodar, ou un Adjita…

A ce stade des développements, le mot « intellectuel » sera appréhendé dans un sens un peu plus large. Quittons le monde universitaire pour celui des affaires civiles et commerciales… Des intellectuels, il y en a partout : à la tête de respectables institutions, aux commandes des banques et compagnies d’assurances, au sein des conseils d’administrations de nombreuses sociétés commerciales, gérants de Sociétés Civiles et Professionnelles, membres des professions libérales (pharmaciens, avocats, huissiers de justices, notaires, commissaire-priseur, médecins, chirurgiens, restaurateurs,…). Et pourtant, on ne les entend jamais. C’est à croire que la vie est belle pour eux, et pourtant…

On peut les comprendre…

Je ne dis pas que toutes ces personnes que j’ai pris le risque de citer nommément sont inertes, amorphes, insensibles aux préoccupations sociales, ou inutiles. Loin de là, et je peux vous assurer, et même jurer que, malgré leur silence (coupable ou louable), ces personnes agissent dans l’ombre, font bouger les choses dans leurs domaines, parlent à mots couverts, communiquent subtilement, envoient des messages subliminaux, bref, sont à l’œuvre…

Leur Silence est compréhensible et excusable. Des intellectuels trop bruyants, trop encombrants, trop impliqués dans la vie politique, trop acerbes, sont réduits au silence  par le pouvoir. Deux silences sont offerts aux intellectuels encombrants : le silence doré, et le silence éternel.

Le premier, est celui acquis par des manières dolosives, par des lavages de cerveau, des achats de consciences, par l’argent, sous toutes ses devises et toutes ses coupures. Dans ce cas, l’intellectuel devient subitement silencieux, discret, et au pis des cas, soutient ouvertement ce qu’il a jadis critiqué. Le second silence, le silence éternel, lui est imposé soit par le rasoir, la rivière, ou le revolver. Suivez mon regard… Dans ce cas, on découvre l’intellectuel récalcitrant, mort d’une hémorragie suite à une blessure en se rasant, soit le gars est touché par une balle perdue, agressé par des « éléments incontrôlés », soit retrouvé mort sur la plage, suite à une noyade volontaire. Il existe moult scénario pour réduire au silence ceux qui refusent de se mettre au pas.

Il nous souvient encore la disparition d’Atsutsè Agbobli, Laclé… et pleins d’autres illuminés qui ont refusés d’être complice d’un système qui n’arrange pas leurs compatriotes. Le pouvoir en place au Togo n’aime pas les intellectuels. La seule alternative qu’il leur offre, c’est la valise (l’exil) et le cercueil (la mal-mort). Alors, si nos aînés se taisent, il faut les comprendre.

J’ai dit.

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Commentaires

RitaFlower
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Rassure-toi,je les comprends toutes ces personnalités togolaises connues ou inconnues réduites au silence par la force des choses et le contexte actuel. D'autres font preuve de COURAGE en étant des acteurs de leur propre vie et de l'environnement dans lequel ils évoluent.Oser déjà en parler,c'est déjà briser la loi du silence.Je reste persuadée que tout un chacun aimerait changer les choses,les mentalités à sa manière.Chaque individu utilise les moyens de communication à sa portée. L'essentiel est que le message passe. D'une manière générale,l'Afrique est un nid de talents cachés.Que chacun exprime son art dans son domaine.Très bon article,j'ai beaucoup aimé le lire.

Aphtal CISSE
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Oh la la la la Rita, c'est toujours un plaisir de te voir par ici, et répondre à tes commentaires. Merci bien. Même si cela fait parfois peur de broncher, on essaie de faire profil bas, et de parler à mots couverts, histoire d'entretenir les non-dits et les clairs-obscurs...
Merci pour ton soutien, grande-sœur!
Cordialement, Aphtal