11 novembre 2012

Naitre ou ne pas naitre? Le qu’en dira t-on…

Grossesse de huit mois (Google)

Edwige, c’est l’une de mes meilleures amies. En fait c’est la meilleure chose qui me soit arrivée ces deux dernières années. Elle me considère comme son grand-frère, nos relations sont décomplexées, elle n’a point de secret pour moi. Aucun secret ! Des frasques de son feu père aux positions sexuelles qu’elle adopte avec son petit ami, en passant par ses retards de menstrues, ses tricheries en classe, et ses petits phantasmes, elle me racontait tout. Absolument tout. Ce n’est pourtant point à cause d’elle qu’Oumou m’a quitté, mais notre amitié m’a bien souvent empêché d’avoir des relations amoureuses stables. A elle aussi je ne cache rien ; enfin pas grand-chose. Elle a accès à ma chambre à coucher à n’importe quelle heure de la journée ; elle a une clé de ma porte. Elle connaissait parfaitement le code secret de ma carte bancaire Ecobank. Je n’avais rien à craindre de ce côté-là, je n’ai jamais plus de trente milles francs sur mon compte. Du mieux que je pouvais, je lui prodiguais des conseils, l’aidai dans ses études, parfois financièrement (sur ce point, la réciprocité est à souligner). Bref, nous étions comme une personne et son ombre. Sa présence ne dérangeait personne à la maison, et parfois ma mère ajoutait exprès un couvert pour elle…

Un soir, alors que j’étais chez elle, elle me supplie de lui prêter de l’argent. 30.000 FCFA. C’était une « urgence ; une question de vie ou de mort », me dit-elle ! Oui mais, que se passe-t-il ? Elle promit m’expliquer tout, une fois le problème réglé, une fois qu’elle serait hors de danger. Ok, qu’à cela ne tienne. J’avais en tout et pour tout 53.432 FCFA comme patrimoine, sur mon compte. Je lui remis dont la carte magnétique ; elle connait déjà le code. J’avale rapidement le jus de bissap qu’elle m’a servit, et demande ma route.

Un samedi, alors que j’étais en plein cours de Droit spécial des Sociétés, elle m’envoie un message, me disant qu’elle m’attendait chez moi, qu’elle avait besoin de moi. Pas de souci ; mon cours prend fin dans trois quarts d’heure, et je serai totalement à elle. Je lui promis même de lui apporter des croissants, ce qu’elle refusa en demandant plutôt quelque chose de pimentée ; léger mais bien pimenté.

Une fois chez moi…

 

Une odeur bizarre m’emplit les narines, dès que j’ouvre ma porte. Je suis très sensible aux odeurs, à cause de mon asthme, donc je m’efforce de garder une certaine harmonie olfactive dans ma chambre. Cette harmonie était certainement perturbée. L’odeur qui m’accueillit cet après-midi, je ne saurais la décrire. Mais Edwige était couchée sur mon lit, pliée en deux, jambes croisées, poussant de petits gémissements. D’un rapide coup d’œil dans la chambre, je remarque au pied du lit des boules de cotons, des compresses, imbibées certainement de sang. Je demeure interdit sur le pas de la porte quelques instants, histoire de prendre la mesure de ce qui se passe.

Je pose mon sac au sol, laisse tomber mon Code OHADA sur une table basse, et m’approche du lit. Je remarque une note manuscrite sur le second oreiller, puis le pis me traversa l’esprit : La salope est venue se suicider dans ma chambre. A la lecture de la note, ce n’était qu’une ordonnance, en bonne et due forme, établie dans une clinique de la capitale, cachetée par un gynécologue, à la triste réputation. Edwige souleva doucement la tête, écarta les jambes puis fit sortir une autre boule de coton, lourde de sang. Elle me salua, puis comprit l’inquiétude qui se lisait sur mon visage. Lorsque je vis son joli visage empli de larmes et de sueur, je ne pu m’empêcher d’éprouver de la peine. « J’ai faim », me dit-elle. Je lui donne ce que je lui avais apporté, elle me tend l’ordonnance, et me dit qu’elle n’a pas eu assez de force pour se rendre à la banque faire un second retrait sur mon compte pour se rendre ensuite à la pharmacie. Sans trop savoir pourquoi, je prends l’ordonnance, sort, puis revient avec tous les produits prescrits. Elle s’empressa d’en avaler quelque uns ; les antibiotiques, surtout.

Une fois reposée, elle accepte de me raconter ce qui s’était passé. « J’avais un retard de menstrues de plus de trois semaines ; j’ai fait des tests de grossesse, tous positifs. J’en ai fait trois. J’avais une grossesse de deux semaines, environ. Junior (son petit ami), ne disait rien ; je ne sais pas s’il voulait que je garde ou pas. Mais il n’a pas d’argent, moi non plus. Je lui ai même demandé 1.000 FCFA pour m’acheter un test de grossesse en vain. Je ne voulais pas t’en parler parce que j’ignore ta réaction. Une fois tu m’as dit que si ta copine était enceinte, tu n’auras rien à craindre, car tu disais que Dieu nourrit les oiseaux du ciel, et donc l’homme ne pouvait mourir de faim. Mais récemment, tu m’as dit qu’une fille qui s’amuse à avoir un enfant, en pleine scolarité, surtout si l’auteur de la grossesse n’a pas les moyens de s’en occuper, cette fille est stupide, parce qu’un enfant, ça mange, ça boit, ça pleure, ça s’habille, ça tombe malade, ça se scolarise, et cela, ce n’était pas vrai avec les oiseaux du ciel. Aphtal, toi-même tu sais que si mon père était en vie, je n’aurai même pas de petit ami. Je suis le seul espoir de notre mère ; mes grandes-sœurs, tu les vois et tu connais leur situation. Moi j’ai réussi à franchir le cap de la deuxième année, et mes petits-frères sont toujours au cours primaire. Tu vois, je ne veux pas faire de la peine à maman, en plus, mon oncle de Bruxelles ne nous aidera plus, financièrement. Je ne voyais pas d’autres solutions, Aphtal… » Le reste fut étouffé par des sanglots.

Je lui fis prendre une douche, avant de la ramener avec la vieille Yamaha de mon grand-frère. Les semaines qui ont suivit, je me suis privé de tout mes petits plaisirs pour acheter à Edwige ses médicaments, et quelques compléments alimentaires. Bien entendu, nous avons gardé tout cela secret. Je n’arrivais plus à lui parler ; je me contentais juste de lui remettre ce que j’avais pour elle. Au début, j’avoue la détester ; mais ensuite, je compris que c’était une réaction innée en moi. Je me mure derrière le Silence, lorsque je suis en face de situations délicates, qui me dépassent, qui me choquent, qui me blessent, ou qui m’offensent. Pendant trois semaines, je continuais de rencontrer Edwige, mais dans le silence.

Avant de desserrer ma mâchoire…

 

Avant de me prononcer sur le cas Edwige, avant de me faire une opinion, avant de retrouver l’usage de ma parole, il m’a fallu longtemps me poser des questions. De nombreuses questions m’ont traversé l’esprit, et j’avoue que celle que j’ai trouvé plus intéressante, est : « quelles sont les conditions idéales de procréation ? » A ceux et celles que j’ai approché avec cette question, la réponse, à quelques nuances près, est la même partout : « Hmmmm, je dois être dans les 23-26 ans, j’ai un bon job bien rémunéré, j’ai un conjoint fantastique, j’ai une belle voiture et un chic habitat avec garage, et je commence à avoir des enfants… comme ca, on te respecte, et on respecte et aime tes enfants, quoi. »

L’intention est noble. Il n’est interdit à personne d’avoir un idéal. Seulement, cet idéal, c’est le Plan A. tous ces jeunes ont-ils un Plan B ? Et si tu n’as pas de boulot, entre 23-26 ans ? Et si personne ne veut de toi comme conjoint ? Et si tu n’aimes pas ton job, ou ton job est mal rémunéré ? Et si tu ne trouves aucun logement décent ? Et si tu es stérile, après ton mariage ? A ces inquiétudes, nul n’a voulu répondre, car aucun d’eux n’a véritablement pensé à cela. Et c’est malheureusement le cas d’Edwige. Tous ses plans, à cause d’une grossesse, « tombent à l’eau ». Il lui était impératif de s’en débarrasser, c’était « une question de vie ou de mort ». Vie pour elle, mort au fœtus. Elle a opté, comme la plus part de ses camarades du même âge, pour la facilité ; elle a choisi l’option avortement parce qu’elle semble plus salvatrice ; elle a préféré supprimer une vie, que d’affronter sa mère, son oncle de Bruxelles, de m’affronter moi, d’affronter le regard désapprobateur de la société. Pour paraitre bonne fille, pour garder une réputation de fille de bonne moralité, elle est prête, elles sont prêtes à être de glaciales criminelles.

Grossesse prématurée ———–> avortement. Parlons-en !

 

Comme d’habitude, il me faut trouver des coupables, il me faut chercher des souffre-douleurs, des responsables, il me faut justifier l’acte barbare commis par mon amie. Le problème majeur, c’est la société et la pseudo-morale. Nous assistons, impuissants, à une sorte d’uniformisation de la pensée, uniformisation de l’idéal de réussite, standardisation des modèles de réussite. Pour ne pas être une ratée, il faut être comme Condolezza Rice, Hillary Clinton, Michelle Obama, Fatou ben Souda… tant qu’on n’arrive pas à leur niveau, on est un cas social, une ratée… C’est la société qui croit qu’avoir un enfant à 19 ou 20 ans, c’est mal. La société, toi, lui, moi, pense que forniquer, ce n’est pas bien grave, mais accoucher, c’est un échec ; la société que nous sommes, ne prend pas une verge pour corriger l’islamiste de Bokoharam ou d’Ansaardine, mais réprime avec la dernière énergie, la salope qui ne sait pas exiger un préservatif.

La société, prétend que la grossesse, c’est une erreur féminine, c’est un handicap à vie ; le mec lui, on ne lui reproche pas grand-chose. C’est ainsi que nous passons tous complices de meurtres de ces doux et innocents êtres. Nous avons tous, par des paroles, par des prises de position, par des aides financières, par le silence, contribué à l’élimination systématique d’humains dont le seul tord est d’avoir été conçu à une période où on n’a pas de voiture, de job bien rémunéré, de voiture, ou de villa avec garage. Parce qu’en fait, nous ne pensons plus, c’est la société qui pense en nous, pour nous.

Je n’ai pas été un meilleur ami, j’ai été incapable de prévoir le pire, j’ai été incapable de faire comprendre à Edwige qu’une grossesse, quel que soit l’âge à laquelle elle intervient, est un don gratuit de l’Esprit ; une grossesse, aussi précoce soit-elle, n’est point un handicap à vie. Elle peut retarder la réalisation d’un but, mais jamais ne l’empêche.

Aujourd’hui, Edwige prépare une Licence en Sociologie, option politique de développement. Je prie toujours pour l’absolution de ses péchés, mais surtout pour la rémission de mes péchés à moi, en pensées, en paroles, en actes et par omissions. Priez aussi chers lecteurs, priez pour votre complicité, active ou passive, peu importe.

J’ai dit !

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Commentaires

RitaFlower
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Aphtal,ne juge pas trop Edwige.C'est ton amie.Elle a fait le choix de ne pas hypothéquer son avenir en prenant le risque d'avoir un enfant maintenant. C'est évidemment une décision lourde de conséquences.Il m'appartient pas de dire si elle a fait ou pas le bon choix.C'est sa décision qu'il faut avant tout respecter qu'on soit d'accord avec elle ou pas d'ailleurs.Je comprends ta position:tu te places sur le plan de la religion et de la moralité.Nous sommes tous que de pauvres pecheurs.Que le seigneur nous pardonne pour nos péchés,cher frère. P.S.cette photo plus haut est très belle.

Aphtal CISSE
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grande-sœur, tu sais, il y a longtemps que je ne juge plus personne. Plus personne!