Quand Steeve Job se paie Moïse au sein de la demeure de l’Eternel
Ce matin, j’étais à l’église. J’ai suivi le culte francophone de la paroisse de l’église presbytérienne d’Agoè. Ce n’était pas vraiment la plus proche, mais au moins il y avait deux cultes : le premier à 7h, francophone, et le second à 9h, en langue locale (éwé). J’ai choisi cette paroisse par ce que c’était où je suivais mon cours de catéchisme, et surtout parce qu’il y avait pleins de jeunes hommes et de jeunes et jolies femmes. Le culte n’y est pas ennuyant, la fanfare est très dynamique, la chorale a une voix ointe, et le Pasteur est concis dans ses prédications, bien animé par le Saint-Esprit. Alléluia !
Donc ce dimanche, alors qu’Ibohn faisait des tweets et actualisait son statut sur Facebook, alors qu’Emile luttait contre la maladie, moi j’étais à l’église, prier pour moi et pour eux. Le message du jour était tiré de l’évangile selon Marc ; la prédication disait, in fine, qu’il fallait que nous soyons alertes, sur le qui vive, car le diable rôde et est à l’œuvre. Il nous faut veiller et prier, toujours garder nos lampes allumées, car le fils de l’homme revient bientôt, et il fallait que nous soyons prêts. Et surtout, il faut que nous nous attachions aux bonnes choses, aux choses qui en valent la peine ; il nous faut rechercher le bien-être terrestre, sans plonger dans la luxure. Alléluia !
Après les cantiques, il y avait une petite vente aux enchères organisée, afin d’aider financièrement le groupe des natifs de Mardi. Ah bon ? J’ai raté huit fois le culte, et je n’étais plus vraiment le plus informé de la paroisse. Oh la la ! Si j’avais su, je me serais préparé, ne serait-ce que pour acheter du piment vert. Bon, ce sera pour une autre fois. On fit sortir les produits à pourvoir. Ils étaient majoritairement des produits culinaires : ignames, adémè, piment, riz, tomates, poulet, pâtes italiennes (spaghetti), pommes de terre, …
La vente débuta par de l’eau minérale, achetée à 1.000 FCFA ; puis une Bible fut proposée. Une jolie Bible illustrée, version Louis second, aux larges dimensions artistiques. Les enchères débutent à 5.000 FCFA, et un employé de banque fini par se l’offrir à 18.000 FCFA. Alors, le riz, les tomates, les tubercules, les pâtes, les piments, et autres légumes furent arrachées par les bonnes et jolies femmes de la paroisse. Au moins il y en a qui aiment cuisiner ; surtout qu’il s’agit de condiments achetés dans la demeure de l’Eternel ! Loué soit Jésus-Christ, et rassasiés soient les maris, ce midi.
Moi j’étais vautré dans ma chaise plastique, à l’arrière, regardant les croyants s’arracher les condiments. Les ignames et poules furent disputés par les hommes, chefs de familles, en gros. Les jeunes comme moi, on les sentait moins. On ne voulait prendre aucun risque car souvent, lorsqu’un jeune fait une proposition aux enchères, on le laisse seul dans la course, histoire de lui permettre aussi d’acheter quelque chose, et de contribuer financièrement à la vie de sa paroisse. Il me souvient encore la fois où, en croyant m’amuser, on m’apporta tranquillement un paquet de spaghetti pour lequel j’ai proposé 1.000 FCFA (le prix de trois paquets de la même marque dans une boutique du coin). Mais bon, c’était pour la construction de l’église, et je me console en me disant que mes 1.000 FCFA ont permis à confectionner l’estrade du pasteur. Alléluia ! Depuis ce jour, tous les jeunes ont compris la leçon, et il valait mieux la mettre en sourdine, lorsque les gros morceaux de l’église font des offres.
La vente continua ainsi dans une ambiance de détente totale et de convivialité durant une bonne demi-heure. On clôtura les enchères une fois de plus par de l’eau minérale. On bénit les acheteurs, et chacun rangeait son portefeuille, et revérifia ses achats, comme dans un hyper marché Carrefour. Nous n’attendions que le Pasteur pour la prière de bénédiction ; celui-ci, au lieu de se diriger vers le micro, descend plutôt de l’estrade, se met en face de nous puis dévoile ce qu’il tenait dans sa main gauche. « Deux Ipad + un Samsung S3, l’enchère commence à 15.000 FCFA », s’écrie-t-il !
Personne n’en revenait. On crut d’abord à une plaisanterie de mauvais goût, mais le visage fermé et sérieux du prédicateur indiqua le contraire. Il tenait effectivement deus tablettes tactiles, et un Samsung de dernière génération, au vil prix de 15.000 FCFA ! J’ouvre la bouche et secoue la tête de désolation, étant sûr que je ne pourrais jamais, alors là jamais me les offrir, dans une vente aux enchères, au sein de mon église.
« 50.000 FCFA », hurla une dame au fond de la salle, pensant monter la barre au dessus de la majorité des fidèles. « 50.000 FCFA une fois, deux fois… » Commença le Pasteur. C’est là que les fidèles se mirent à comprendre ce qui se passait. « 70.000 FCFA », renchérit un jeune assis devant, dans la rangée de droite. Seigneur ! Deux tablettes plus un Samsung pour presque rien… On croyait la somme imbattable, mais la salle s’emballa. 80.000, 82.000, 150.000 155.000, 170.000… nous étions à 170.000 FCFA !!! Les natifs de Mardi étaient contents et excités à la manne qui était en train de rentrer dans leur caisse. Alléluia. La somme 170.000 FCFA a été proposée par un jeune choriste, jusque là silencieux. Sans blagues, on se voit sans se connaitre hein ! Il y a des gens qui ont 170.000FCFA alors que moi je réfléchis à comment rentrer chez moi à la fin du culte…
« 170.000 FCFA une fois, deux fois… » ; « 250.000 FCFA renchérit un homme ». Tout le monde s’écrie. On se mit à applaudir, on était sûr qu’il était le dernier enchérisseur. Le pasteur se mit à avancer vers lui en comptant de un à trois, la chorale se mettait en position pour chanter les éloges du bon donateur. On luit remet son Graal, et lui, sort un chéquier, qu’il remplit prestement. Son chauffeur vient le décharger de son pesant et valeureux colis.
Puis vient la leçon.
Le Pasteur remonte sur l’estrade, s’éclaircit la voix, puis se mit à parler. « Loué soit le Seigneur ! Il est bon de vivre pleinement sa vie de chrétien en participant à la vie de son église et de sa paroisse, selon nos moyens respectifs. Vous avez tous été témoins de ce qui vient de se passer ; lors des enchères, on vendit de l’eau minérale, des tomates, des poulets, et même une Bible. Oui, une Bible a été mise en vente ! A combien a-t-elle été achetée ? (18.000, réponse de la foule) ! Moins de 20.000FCFA. Cependant, je viens de revendre des appareils qu’on m’a offerts gratuitement et qui, en réalité ne sont que des imitations des marques. C’est ma manière d’aider aussi les natifs de Mardi, puisque je suis né un Mardi moi-même. Et nous venons de vendre ces trois appareils à 250.000 FCFA. Que la Bible soit vendue à 18.000FCFA, et que les appareils électroniques soient vendus à 250.000FCFA, à chacun de se faire une idée de la chose. L’essentiel est que tout cet argent soit destiné à la même caisse. Je ne condamne personne ! Que le Ciel nous vienne en aide, en ces derniers temps, et que l’esprit de discernement soit accordé à chacun d’entre nous ! Amen »
Amen, répond timidement la foule.
Je n’ajouterai plus aucun commentaire, car à la parole de Dieu, on n’ajoute rien, ni n’en retranche un mot. Alléluia !
J’ai dit !
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