Pas de couleur bâtarde dans ma cour
Citoyens du monde, je vous dis le bonsoir, depuis Sokodé. J’ai effectué un petit voyage sur ma terre natale, dans le cadre du travail. J’y suis actuellement ! Pour ceux qui ne le savent pas, Sokodé est une grande ville du Togo, située à un peu plus de 300 km de Lomé. Elle est le chef-lieu de la région centrale, est majoritairement musulmane et très commerçante. C’est une ville qui a plus de minaret que d’école, mais assez tolérante et autarcique.
Bien avant mon départ, je dus passer quelques coups de fil, histoire d’annoncer mon arrivée, alerter la bande, et rendre mon séjour un peu agréable. Hormis le boulot que je dois y abattre, il fallait bien que je déstresse, que je m’amuse un peu, que je retrouve mes bas instincts, et flirte avec les délices de la chair. Quoi de plus normal donc que de prévenir Aminatou de ma prochaine venue ?
Aminatou, c’est ma toute première fois ! A l’époque où la puberté tirait les premières salves, Aminatou était la seule que je trouvais à mon goût et qui me le rendit. Mon premier baiser, c’est elle ! Ma première fois, c’est encore elle. C’est une chouette fille, à la taille fine, à la peau noire, sinon sombre, au teint luisant et brillant, à la hanche superbe, et aux lèvres de pétales d’hibiscus. Ah, Aminatou. Que j’ai hâte de te revoir…
Sokodé, me voilà…
Déjà cinq longues années que je n’ai plus remis pieds dans cette ville (bien que mon père y vit toujours), et pourtant j’ai l’impression de ne l’avoir quitté qu’hier. A ma descente du car, le comité d’accueil est demeuré inchangé : la même station d’essence à la façade décrépie, les mêmes bruits de garçons mal sevrés, les mêmes cris d’apprentis chauffeurs à la recherche de voyageurs, la même odeur de brioche, les mêmes injures d’avortons belliqueux, le même entrain, les mêmes couleurs, le même quotidien. Sacré Sokodé. Toujours égale à elle-même, cette ville avance à son propre rythme, tenant compte des réalités, et surtout respectant les coutumes et traditions. Ah Sokodé.
Une fois à la maison, je regagne la chambre que papa fit préparer pour moi. Il s’agit de son ancienne chambre d’étudiant, un peu à l’écart du nouvel immeuble, composé d’une pièce, d’un salon, et d’une salle de bain. Cool ! Au moins, je conserve une certaine autonomie, libre d’organiser mes sorties et mes visites comme je l’entends. Les cousins et les petits frères étaient déjà là, m’assaillant de nombreuses questions, tellement nous avions des choses à nous dire. Pourtant mes idées étaient irrésistiblement tournées vers Aminatou. Elle était au courant de mon arrivée, mais préfère me laisser, la première journée, à ma famille, et promit passer me voir, dans la semaine. Qu’à cela ne tienne ! J’ai pu survivre cinq années, quelques jours n’allaient pas me tuer.
Aminatou hier et aujourd’hui…
C’était hier, Mardi, ma cinquième journée à Sokodé. Après une éreintante journée, je rentre aux alentours de dix-huit heures, puis rejoins le reste de la famille à la mosquée pour la prière de Magreeb. Je somnole un peu dans la mosquée, en attendant la prière de nuit, (Inshaa), puis dîne copieusement avec papa avant de regagner mes quartiers. Je regardais une émission stupide à la télé lorsque mon téléphone vibra : Aminatou m’attend à la porte.
Je saute du lit, refait le drap, déboutonne ma chemise, brosse à nouveau mes cheveux, vérifie rapidement quelques trucs, avant de sortir retrouver ma douce et tendre Aminatou. Rien ne doit manquer à cette soirée de retrouvailles : de la musique aux préservatifs, en passant par le jus de fruit, les biscuits, les petits cadeaux que je lui avais ramené de Lomé. Je ne devais pas trainer dehors avec elle, pour ne pas indisposer qui que ce soit. Sokodé est une ville très musulmane, et les pratiques se voulaient chastes, même si on savait en quelque sorte de quoi chacun était capable.
Aminatou était habillée simplement mais pudiquement, avec toujours la même hanche, la même cambrure, le même sourire (enfin presque), le même regard, mais… pas le même éclat. Habillée, je ne pouvais admirer que la couleur de son visage, qui a considérablement rougi, ces cinq dernières années. Après la brève conversation, et une fois sa longue tenue ôtée, je me rendis compte de l’horreur. Aminatou, ma douce et tendre Mimi n’était plus la même. J’ignore si je dois la qualifier de blanche, de métisse, mais elle n’est plus la négresse que j’ai connue, ni la tasse de Cappuccino que j’ai, jadis, bue.
Aminatou a désormais une peau à la couleur indécise, avec des zébrures noires. Son cou est une vallée sombre, sur le côté de la gorge, et une plaine ensoleillée, au verso. Ses larges et jolies épaules, d’un rose bleuté, portent les lacérations de ses soutiens-gorges, habillant cyniquement une partie de ses seins qui n’ont rien perdu de leur fermeté. Son ventre porte le stigmate d’un excès d’hydroquinone, le rendant tellement clair que quelques nervures sont visibles. Son ventre, à l’expiration, ressemblait beaucoup plus à l’écran de veille d’un Ipad qu’à un abdomen humain. Quant à ses cuisses, elles sont comparables à celle d’un jeune homme à la peau un peu trop claire, tellement elles sont velues. Je n’eus point le temps de m’attarder sur le triangle touffu que cachait son léger slip, mais je pris le risque de lui faire tourner sur elle-même, afin de voir le spectacle. Son dos ressemble à un tableau noir, hâtivement effacé par des élèves, un vendredi après-midi. En gros, ma chère Aminatou avait l’air d’une carte de géographie.
Malgré le répugnant aspect qu’elle avait, je m’efforce de ne pas la frustrer, en la prenant dans mes bras, de lui faire comprendre que blanche ou mulâtre, négresse ou métisse, elle était la même. Mais la forte odeur de poisson cru qui émanait d’elle m’empêchait d’éprouver tout sentiment de compassion, ou le moindre désir pour elle. J’eu un haut-le-cœur, et je finis par me séparer d’elle, déçu, abattu, désenchanté, dépité.
Elle commença par parler, à me demander ce qui n’allait pas, pourquoi me suis-je dégonflé… Longtemps silencieux comme d’habitude, je ne pus m’empêcher de lui dire vertement, et en Kotocoli en plus, ce qui me chagrinait.
« Idiote, c’est ta mue qui m’a fait perdre mon désir. Qu’es-tu devenue ? Ta peau, si noire, si dure, comme le dessous des casseroles, qu’en as-tu fais ? Tu es si moche aujourd’hui. Regarde un peu ce à quoi tu ressemble ! C’est vrai il y a des jolies filles au teint clair à Lomé qui font mon bonheur, mais moi je suis resté fidèle à mes principes, Amina ! Noire de chez noir là, c’est ça qui me rend raide. J’aime aussi les peaux claires, mais pas les peaux empruntées, à la métamorphose incomplète, bariolée comme une camisole malinké. A Lomé, les filles qui se dépigmentent à l’excès, sont généralement des femmes galantes, avec tous les préjugés qui les suivent (prostitution, IST, Sida…) Tsru, Aminatou, tu crois que moi j’ai pas envie d’avoir une peau un peu plus clair, et d’être un peu plus séduisant comme les garçons du Nigeria là ? Je peux aller en pharmacie trouver d’excellents laits de corps, et pourtant je suis toujours aussi bronzé ! Cela ne t’a pas empêché de venir me retrouver dans ma chambre ! Mais toi ta nouvelle peau, ou ce qu’il en reste, me fait peur, et ton odeur de lait caillé là me fait vomir. S’il te plait rhabille toi et rentre chez toi. »
Respectables aînés, Ziad, David, Emile, Florian, Badiane, Osman, Dia, Keyta, Madigbè , Aliss, Andriamihaja, Abdellah, Serge, Ameth, quels sont vos goûts, en matière de femme, si j’ose être indiscret ? Fanta (claire) ou Coca-cola (noire) ? Douces et tendres amies, Rita, Danye, Faty, Naty, Sinath, Bellya, j’ignore le skin de votre peau, mais je me dis que vous devez être belles, sensuelles, et…naturelles ! Ce qui m’importe, moi, c’est que quelque soit la peau, au lieu de chercher à l’éclaircir, trouvez du bon beurre de karité pour le soin corporel. Ces produits importés, européens, ivoiriens, ghanéens, nigérians, fortement dosés en hydroquinone, ne sont profitables à personne. Ni pour vous qui les utilisez, ni pour nous qui vous admirons. Gardez votre teint Naturel, comme Oumou, et soyez-en fiers et Happy, comme la grande Axelle.
Il y a un milliard de raisons de croire en l’Afrique, parmi lesquelles se trouve la Femme noire. Soit c’est Fanta, soit c’est Coca-cola. Mais jamais Fanta-coca.
J’ai dit !
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