4 février 2013

Entre pilules et curetage, les miennes hésitent et crêvent

anti-abortion (MorgeFile)

Mes deux parents sont médecins. Vous n’en avez rien à foutre, mais moi, si ! Cela n’a absolument rien de gai, de passer toute son enfance, parfumé d’antibiotiques, d’anti-inflammatoires, de sérum, de seringues et autres outils qui sont tout sauf des jouets. Ce qui l’est encore moins, c’est de devoir, à un certain moment de son existence, affronter les parents sur l’épineuse question d’orientation professionnelle. Ça commence au lycée, lorsque les parents veulent vous orienter vers les séries scientifiques, en ridiculisant celles littéraires. (Papa, j’ignore si je t’ai déçu, mais crois, je n’en ai rien à foutre). Jusque là, on s’en sort ; mais on fini par devenir médecin, ou tout de même auxiliaire médical, malgré soi, lorsque les parents décident d’ouvrir une clinique.

A l’époque, notre demeure était coupée en deux, et même en trois. L’immeuble secondaire (communément appelé dépendance), et le rez-de-chaussée de l’immeuble principal étaient réservé à la clinique. Nous rasions les murs, et les parents étaient encore vigoureux pour s’en occuper. Depuis 2010, la clinique a été déplacée, et nous jouissons à présent de l’ensemble de la maisonnée. Tout ceci, je sais, ne vous intéresse pas vraiment ; excusez-moi, mon mariage avec Danielle me fait trop parler.

Depuis ma licence, obligation m’est faite de me rendre chaque week-end à la clinique de mes parents, pour faire les comptes, les inventaires, m’occuper des commandes de produits, jouer au Directeur des Ressources Humaines, menacer les infirmiers et assistants négligeants, caresser les médecins et spécialistes dans le sens de leur poils… Bref, j’y suis présent chaque semaine.

Dimanche dernier, hier donc, j’étais encore à la clinique, m’occupant de broutilles, lorsqu’une dame, à peine la trentaine, arrive, pliée en deux, hurlant de douleur, maudissant les hommes, invoquant la mort en délivrance. Elle hurlait, et visiblement, souffrait le martyr. Une fois dehors, je me rends compte que j’étais tout seul. Merde, c’est dimanche, et il n’y a que deux assistants pour monter la garde, maman ne venant que tard le soir ; sauf que je viens d’accorder une absence à l’une, et envoyer l’autre infirmière à me trouver quelques choses à manger. Je dois donc jouer au toubib. J’accueille la dame, l’introduit et la fit s’allonger. Elle ne voulait pas se coucher, préférant se déplacer. Elle dit que la douleur était moins vive lorsqu’elle se déplace.

Elle hurlait, suppliait, et j’étais désemparé, impuissant, incapable de lui venir en aide. C’est vrai, je passe tous les week-ends à compter et recompter les produits de la pharmacie, à lire les notices, et autres, mais cela ne fait pas de moi un médecin ; je suis juriste de formation, moi. Mon élément, c’est le code civil, le code OHADA, les codes pénaux et autres texte législatifs ; pas le dictionnaire VIDAL.

Vous vous dites peut-être que j’aurais pu lui donner un truc contre la douleur, un antalgique, mais moi, je ne suis pas adepte de l’automédication, surtout lorsqu’il s’agit de femmes et de… douleurs abdominales. Je lui pose quelques questions, elle me répond difficilement. Mais comme diagnostique, je pouvais dire qu’elle a fait une fausse couche, à la suite de laquelle elle a des douleurs. Ce n’est pas vraiment médical comme termes, mais bon…

L’un des enfants de la dame arrive, puis un voisin. Je décide donc de faire appel à maman, qui ne tarde pas à arriver. Elle fait ce qu’elle peut, puis la dame geint moins lorsqu’une grosse bouteille de sérum commence à se vider dans ses veines. Le mari finit par arriver, craintif, sans grands moyens financiers… Conséquences ? Premiers frais de soins, et frais de pharmacie, à payer ultérieurement.

Maman proposa que la dame soit hospitalisée 72 heures au moins. Je trouvai cela excessif, sauf que lorsqu’elle me dit de quoi souffrait véritablement la patiente, je ne pus qu’émettre un sifflement d’étonnement. C’est peut-être violer le secret médical, mais puisque vous ne connaissez pas la patiente, et qu’il me faut vous sensibiliser  sur un phénomène quasi-incontournable, je vais vous dire ce que la patiente avait. Et puis ce n’est pas moi le médecin, donc Hippocrate ne pourra point me châtier.

En fait, la dame, mariée, mère de six enfants, avait tenté un avortement, ou en termes plus scientifiques, une Interruption Volontaire de Grossesse, avec l’accord et la bénédiction de son mari. Un enfant de plus, serait l’enfant de trop. Fautes de moyens, ils on fait un curetage bon marché, mal fait, laissant l’utérus plein de débris du gosse dont on voulait se débarrasser. Voilà. La démarche de ma mère consiste dans un premier temps à calmer la douleur, avant de procéder à un examen gynécologique proprement dit. La douleur s’est calmé depuis hier soir, mais le traitement contre la douleur continue, enfin je crois.

Moi cela m’a fait réfléchir sur la condition des femmes togolaises et africaines. Dans un contexte économique aussi difficile, qui se permet de faire un troupeau d’enfants? Il y a des programmes d’espacements de naissance, au Togo, mais ils sont mal perçus par la population. Les hommes y voient un complot ourdi pour soulever les femmes contre eux, et les pousser à refuser d’accomplir le devoir conjugal. Les femmes, par contre y voient « un produit pourri d’occidentaux destinés à les rendre stériles et déformées ». Les rares femmes qui ont compris, et qui suivent les programmes d’espacement de naissance, et de planning familial, sont taxées de « femmes faciles, aimant trop faire la chose, incapable de résister aux plaisirs charnels, incapables de refuser à son mari l’accouplement ».

Cela est triste et désolant, et pourtant, c’est la réalité. La population continue de s’enfoncer dans la misère, c’est un fait. Si les gouvernants n’arrivent pas à assurer au peuple un minimum de bien-être, que les gouvernés prennent des dispositions pour ne pas croupir indéfiniment dans la précarité. Pour moi, le sourire d’un enfant comblé et heureux vaut mieux que les sourires de six gosses mal nourris et probablement non scolarisés. Le pays n’avance pas, mais des actes comme ça ne le font pas non plus avancer. Un paquet de 4 préservatifs ne coute que 100 FCFA, pourtant, des cons d’hommes refusent de l’utiliser. Quelques pilules, subventionnées en outre, permettent d’espacer les naissances, tout en continuant tranquillement les séances de jambes en l’air. Pourtant, des idiotes préfèrent aller se racler le vagin, alors même qu’elles n’ont pas les moyens de le faire proprement.

Frères nègres, ne donnez pas raisons à ces cancres qui nous assimilent aux singes. Ne pas être animal, c’est aussi prendre grand soin de sa famille, aussi petite soit-elle. L’ère de la famille nombreuse est dépassée.

J’ai dit.

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Commentaires

Abdoulaye Diop
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Salut,
j'ai adoré votre article! Je suis médecin, gynécologue de surcroît, et ce que vous décrivez, je le vis quotidiennement !
De plus, étant SG de l'Association des gynéco de mon pays, je milite activement pour la vulgarisation de la contraception pour lutter justement contre les conséquences des grossesses indésirées comme vous l'avez si bien décrit.
Mes parents à mou n'étaient pas médecins mais plutôt enseignants (c'est presque pareils question pression éducative à la maison) et j'ai , avec des partenaires mis sur place à Dakar un clinique spécialisée dans la prise en charge de la mère et de l'enfant : NEST.
Je vous invite à faire un tour dans mon blog, et j’espère qu'on pourra échanger fructueusement!
Peace

RitaFlower
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Chaque femme en Afrique doit pouvoir choisir librement son moyen de contraception en toute liberté par un suivi médical.Cela peut éviter des drames humains comme des avortements faits dans des conditions épouvantables par des des non-professionnels ou des non-qualifiés de santé."Se racler le vagin"hum,Aphtal... P.S.fils de bonne famille,tu es donc un bon parti.T'a fait un choix entre tes deux femmes alors...

Aphtal CISSE
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Hmmm, grande-soeur, si je te raconte ma vie, tu retireras certainement tes mots "fils de bonne famille"...
En ce qui concerne les méthodes de contraception, franchement, il faut un peu plus de communication autour de la chose