Je suis togolais: anticipez ma mort!

Article : Je suis togolais: anticipez ma mort!
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16 mai 2013

Je suis togolais: anticipez ma mort!

Death (MorgueFile)

Cette histoire, si je ne vous la raconte pas, je ne serai pas tranquille. Il me faut la dire, la conter, la raconter, l’exposer. Je suis partagé entre fait social, escroquerie, et complot sordide. Mais bon, que chacun d’entre vous se fasse une idée de la chose.

Je me suis retrouvé au beau milieu d’une histoire à la fois triste, vraie et incroyable. Razak est un ami de la Fac. Notre amitié n’a vraiment débuté que lors des examens de Licence. Nous habitons le même quartier, nous sommes des musulmans progressistes (aimant la bière et autres liquides et mets prohibés par le Prophète). Il vit seul dans une cour commune, il est de plusieurs années mon aîné, mais cela ne nous empêche pas d’être complices.

Ce Mercredi là, seul dans ma chambre, je pensais au plus sage moyen pour moins dépenser cet argent que cette magnifique grande-sœur venait de m’envoyer par Money Gram. J’organisais en fait mon déplacement sur Cotonou, puis sur Parakou, lorsque mon téléphone affiche un nouvel SMS :

« Man, tu es à la maison ? Je suis à ta porte quoi ! Raz » !

Bon, je ne suis pas vraiment fan des visites inopinées mais comme Razak ne trainait pas trop chez moi, je sors sans hésiter. Il était assis sur sa moto, à ma devanture, la tête posée sur le réservoir. On s’échange les salamalecs, mais je réalise qu’il n’était pas vraiment enthousiaste. C’est en demandant les nouvelles qu’il me dit :

« Ça va pas vraiment, Aph ! Mon petit frère est mort hier nuit.

– Hein, que s’est-il passé ? Il a eu quoi ? Oh ?

Oh, il s’est levé le matin avec des maux de ventres et autres. Les médicaments ne calmaient pas la douleur, et on est allé au CHU. Là, on fait une échographie, et il parait que c’est une appendicite ou un truc comme ca ; on doit l’opérer. Ah, j’étais chez un oncle à Djidjolé quand on m’a appelé pour me dire de revenir, car il a rendu l’âme.

– Seigneur !

Ah, on doit aller au village ce vendredi pour les cérémonies d’enterrement. Mon frère, je n’arrive pas à regarder maman en face ; je n’ai même pas grand-chose pour me rendre à Bassar. Je…humm Aphtal… »

Puis mon ami éclate en sanglots. Si c’était une fille, je l’aurai pris dans mes bras. Mais il retrouve rapidement son calme, puis me dit, qu’il ira voir des tantes et oncles la même nuit. J’étais sans voix, surtout que j’ai croisé ledit frangin deux ou trois fois dans des soirées plutôt bien arrosées. C’était un bon viveur, ce petit ! Merde. Je raccompagne Razak, qui ne démarre pas sa moto. Il y a quoi, mon frère ? Oh ne t’inquiète pas, une petite panne sèche. Je vais la garer à la maison en attendant. »

A quoi sert un ami, s’il n’est capable que d’avaler des bières avec toi, sans te mettre un litre de Super Sans Plomb dans ta moto, en pareilles circonstances, hein ?

 Je lui dis d’attendre, pour voir si je peux lui trouver quelque chose. Bah, le Christ interdit à ma main gauche de savoir ce que fait ma main droite, alors permettez que je taise le montant que je lui ai offert. Ma soirée était gâché, j’étais attristée, et je devais sûrement reporter mon voyage.

Ma surprise du lendemain.

Jeudi soir, j’appelle Razak pour lui souhaiter bon voyage, et lui présenter une fois de plus mes condoléances pour son petit frère, qui sûrement allait nous manquer, nous les noctambules de Cacaveli. Et j’étais sincère. Je n’avais plus le moral. Mon cher ami décroche après seulement plusieurs tentatives, et semble s’éloigner pour mieux me parler. Je lui demande des nouvelles,, il me promet me rappeler le lendemain pour m’expliquer quelque chose, puis raccroche aussitôt. Ok pas de problème.

Vendredi, 11H, inquiet, je lui envoie un SMS, puis il rappelle aussitôt. Je l’ai trouvé plus ou moins gai, riant même, et un peu plus serein, en tout cas. Ce qu’il me dit me choque au plus haut point :

« Tchalé, tout va bien. Le petit frère va bien, il a été opéré cette nuit ; on se rendait au bloc comme ça, quand tu as appelé hier. Il en est ressorti ce matin vers 3h. Il va bien, il est tiré d’affaires, il dort toujours, actuellement. Merci beaucoup, en tout cas le plus gros a été fait. Il ne reste qu’à honorer la dernière ordonnance du Chirurgien. »

Oui mais que s’est-il passé ? Le petit a ressuscité ou comment ?

« Non, mon cher ! Il était bel et bien vivant, mais il nous manquait de l’argent pour payer l’intervention chirurgicale. Franchement je ne sais pas quelle aurait été la réaction de la famille et des autres, si on leur avait demandé de l’argent pour les soins. Tout le monde a des problèmes, et ce serait un imprévu. Mais par la Grâce de Dieu, ils ont été nombreux à mettre la main à la poche, pour me consoler, quand je suis allé les voir. Excuse-moi de t’avoir fait ce coup hier. C’était vraiment sympa de ta part. Mais en tout cas, sache que les prochaines fois qu’on ira boire, tu participeras un peu plus à l’addition hein… »

Sa dernière phrase m’a fait sourire ! Pourtant, j’ai vraiment été tourmenté par sa démarche pour collecter les fonds pour l’opération de son petit frère. Je n’en avais rien à foutre, de ce qu’il en est des autres personnes ; mais à moi aussi, Razak a menti. Pourquoi ne m’a-t-il pas dit la vérité à moi, pour voir si je pouvais ou non lui venir en aide ? Pourquoi, même à moi, il a préféré occulter la réalité, jouer une tragédie, pour pouvoir sauver une vie?

Mais au fond, suis-je si différent de tous ces togolais qui ne se mobilisent que pour les funérailles ? Suis-je plus méritant que l’oncle de Razak qui lui a offert de l’argent et des vivres ? Notre société est-elle tombée si bas, dans cette déchéance morale, et sociale ? Lui aurai-je donné de l’argent, s’il m’avait dit la vérité ? Aurais-je été généreux, face à la vérité ? Que ce serait-il passé, si Razak ne reçut point les dons escomptés de sa tromperie?

Ces questions m’ont taraudés l’esprit, hier, en allant saluer Idriss, le petit-frère de Razak, supposé mort, ramené à la vie grâce à l’élan de solidarité qui n’existe que devant la tombe.

J’ai dit !

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Commentaires

Babeth
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ahahah il t'a eu hein mais toutes les sociétés africaines sont pareilles on préfère sauver les obsèques que le malade cè une belle leçon ah Razac t'a pas froid aux yeux. tu lui a pardonné?

Aphtal CISSE
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Triste réalité

RitaFlower
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N'encouragez surtout pas le mensonge.IL aurait du dire la vérité.Aphtal l'aurait aidé quant meme.Razak n'aurait pas du jouer ainsi avec la vie de son petit frère.Cela ne se fait pas surtout entre amis.Ce n'est pas du tout bien de tromper tout le monde dans le but de lui soutirer de l'argent.IL t'a manipulé.Je n'aime pas cette trahison de ton ami.

Aphtal CISSE
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"Trahison", dis-tu! Lui il le verra pas sous cet angle! Mais bon, oui c'est vrai que c'était pas peace de sa part! Mais bon... Suivez mon regard

roland
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Sacré veinard.Il t'a bien eu! Face au résultat de sa farce on peut penser que c'était un mal nécssaire pour sauver une vie.En tt cas il est clair qu'il est bien avisé sur le niveau d'individualisme dans une société qui n'a plus d'égard pour l'etre humain.

roland
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Le sacré veinard en tt cas il t'a bien eu! Face au résultat de sa farce,on est tenté de penser que c'était un mal nécessaire pour sauver la vie de son frère.Ce qui est sur est qu'il était bien avisé sur le niveau d'individualisme dans une société qui n'a plus dégards pour l'etre humain.

Aphtal CISSE
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Un mal nécessaire vraiment! Mais c'est notre société qui est malade!

Sinatou SAKA
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Il n'aurait pas dû agir ainsi! Mais bon, en Afrique, on est prêt à tout et n'importe quoi! Anyway, tout finit bien! Tu es venu à Cotonou et le petit frère va bien, c'est le plus important.

Aphtal CISSE
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Oui, tout est bien qui fini bien

Mouinat
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Les gens sont vraiment bizarres.Quand il s'agit de faire des dons pour payer les frais d'hôpitaux ils n'ont pas d'argent mais après la mort de la personne ils viennent tous pour contribuer aux funérailles.Tout compte fait il n'aurait pas dû procéder ainsi

Aphtal CISSE
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C'est cela, notre société, Tanty

Serge
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on aide plus les morts que les vivants. Meme si je trouve son attitude anti-éthique, je ne le juge pas, c'est quand meme son frère, et Dieu sait ce que je ferai pour les miens