Togo-Cameroun: ce tribalisme qui nous dessert…

Article : Togo-Cameroun: ce tribalisme qui nous dessert…
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24 janvier 2014

Togo-Cameroun: ce tribalisme qui nous dessert…

Crédit image: blog Anti-Tribalism Mouvement!

 

 

J’aurai aimé plancher seul sur ce sujet délicat, sinon épineux! Je n’ai pas toujours trouvé le meilleur angle pour l’aborder, tant il y a des abrutis qui ont tôt fait d’édulcorer tes dires. Bon, pour cette fois, j’ai décidé d’inviter sur mon blog mon collègue et ami camerounais, Ulrich Tadajeu Kenfack. Il est étudiant camerounais, actuellement en Master  Histoire Politique à l’Université de Dschang dans la ville de Dschang au Cameroun et s’intéresse à l’actualité, au savoir et aux Technologies de l’Information et de la Communication. Il anime également un blog à cette adresse.

 

Le Cameroun est reconnu comme étant un pays diversifié avec plus de 200 ethnies. Ces ethnies, au lieu d’être de véritables atouts pour l’intégration nationale sont des freins dans la mesure où elles sont instrumentalisées et deviennent des facteurs de division, de peur et de méfiance à l’égard des autres. Comment se manifestent ces problèmes ethniques au Cameroun ?

Au Cameroun, l’ethnie existe. C’est vrai. On est bêti, bulu, bassa, bamiléké…L’existence de cette ethnie n’est pas un problème en soi. Car chacun a une identité et c’est la rencontre des différentes spécificités des différentes identités qui forme un tout authentique. Le problème n’est pas tant l’existence de cette ethnicité que l’instrumentalisation et l’utilisation qui en est fait pour des fins uniquement politiques et égoïstes.

 

Cher ami, pour avoir beaucoup lu des écrits des camarades blogueurs du Mboa, j’ai fini par croire que Cameroun et Togo sont même père-même mère ! Ce n’est pas totalement faux, si on se réfère à l’histoire coloniale de ces deux contrées : d’abord les allemands, ensuite les français ! Du coup, nous avons, (à des nuances près), les mêmes galères, les mêmes bêtises. Les ethnies, nous en avons également une multitude au Togo. Les Ouatchi, les Tem, les Kabyès, les Mobas, les Akposso… Toutes ces ethnies n’ont pas forcément de colorations politiques, à cause du peu d’intérêt de certains hommes pour la chose, mais oui, comme au Cameroun, il y a une manipulation de la fibre ethnique.

 

La première pratique qui est souvent mise en avant au Cameroun et qui dénote un tribalisme sans nul autre précédent est certainement la conception du poste et du pouvoir politique. En effet, les partis politiques sont toujours les partis du village. Ce qui fait que les revendications donnent l’impression d’être des revendications d’un village ou d’une ethnie précise.

La nomination à un poste ministériel est toujours perçue comme une réussite ethnique. Ainsi, après chaque nomination, le village envoie une lettre de remerciement au chef de l’État pour avoir nommé un des leurs dans un ministère. S’en suit des revendications d’autres ethnies qui estiment qu’elles aussi méritent d’avoir un fils au gouvernement ou alors d’avoir une université comme on l’a vu encore récemment. Le pays est considéré comme un gâteau national sur lequel chaque ethnie doit venir se servir peu importe la compétence.

Cette situation entraine comme une sorte de rivalités ethniques. Telle ethnie se dit favorisée, l’autre se dit défavorisée. Certains se considèrent comme des victimes. On rentre dans une situation de tribalisme avec l’idée selon laquelle l’autre est plus favorisé que moi, qu’on ne nous aime pas. Tout ça est entretenu par les politiques qui s’en servent pour se positionner.

« En Afrique, vous savez, la compétence comme le génie s’arrange toujours pour fleurir brusquement dans la région ou dans l’ethnie de celui qui détient le pouvoir » (Emmanuel Dongala, Jazz et Vin de palme)

Pour vous est bien hein ! Vous avez des Universités que telles ou telles régions réclament. Nous n’avons que deux Universités publiques au Togo : celle de Lomé et celle de Kara. Bon, Lomé, c’est la capitale. Kara, je ne sais pas ; il paraît que c’est la deuxième ville du Togo, ce que moi je réfute totalement. Allez voir de la manipulation ethnique ; Kara est la localité d’origine du Président. Mais j’aurai penché pour une Université à Sokodé. Quoi ? Oui je suis Kotocoli originaire de Sokodé, mais en plus, Sokodé, c’est le vrai centre du pays ; c’est plus grand et plus beau que Kara ; il y a plus d’activités économiques. C’est mon avis aussi hein ; que le Kabyè de Kara qui n’est pas content aille écrire son propre article.

Plus sérieusement, il y a une sorte de primauté ethnique, dans l’attribution de certains postes dans la république ! Les transports ou le Sport pour les kotocoli ? L’armée pour les Kabyè ? La finance pour les Ouatchi ? Les Télécoms pour les Moba ? Non, je rigole, il n’en est rien, quoique

 

Par ailleurs, les différents rapports et idées construits par la société et les familles autour des autres ont des élans péjoratifs qui traduisent un tribalisme. Dans certaines tribus, il y a un nom précis avec lequel on qualifie les autres soit pour marquer un ressentiment, soit alors une distance. Les Bamilékés qualifient les autres (Littoral, Est, Centre, Sud…) de « Nkoa ». Les Nordistes (ceux qui peuplent le grand nord du Cameroun) qualifient les autres de « Gadamayos » alors que les béti, bassa qualifient eux-mêmes de « graffi » les Bamiléké. Bref, il y a des noms utilisés pour qualifier les autres ethnies qui dénotent une sorte de méfiance, de discrimination et de rapport à l’autre plus ou moins meurtrière.

 

 Tu sais, Kotocoli et Moba sont des cousins à plaisanterie ! Nous les appelons « nos esclaves », et ils nous appellent « nos rois » ! Ouais, les wawa sont nos esclaves et cela a toujours été ainsi. Tu vois, les Douti, Kolani, Doumnangue, Babiegue et autres familles sont des « esclaves » pour nous autres rois comme Cissé, Touré, Traoré, Sabi, Tchakala, Ouro-sama… Mais quand je me souviens des fessées que m’a administré un surveillant au lycée (de l’ethnie Akposso), pour avoir traité d’esclave une fille Moba avec laquelle je partageais mon banc, je me dis que les togolais ignorent leur propre histoire, et que les politiques ont de beaux jours devant eux ! Sérieux, une plaisanterie dont personne ne se plaint, toi tu en fais tout un plat, et fait preuve d’excès de zèle sur les royales fesses du Kotocoli que je suis !

 

Enfin, il y a la question anglophone. Nous parlons de cette question parce qu’elle est l’un des éléments qui peut briser  l’unité nationale en construction du Cameroun. En effet, les ressentiments entre anglophone et francophones sont de plus en plus récurrents. Même si l’élite gouvernant tente de la mettre sous silence, ce problème existe. Il nait du fait que certains camerounais ressortissants du Cameroun autrefois dominé par l’Angleterre estiment qu’ils sont toujours marginalisés et s’excluent eux-mêmes de la vie publique. Et de l’autre côté, les préjugés que certains « francophones » ont au sujet de ces Camerounais. Des termes sont utilisés pour les qualifier « ils sont à gauche », « c’est un anglophone qui a fait », « c’est un bêti… ».

Bref, on explique la bêtise par l’appartenance ethnique ou linguistique alors qu’en elle-même la culture n’est pas productrice de bêtise.

 

Oh ? Donc au fait vous avez eu trois colons hein ! Non, le Grand Architecte de l’Univers nous a épargné la domination anglaise ! Nous ne l’aurions pas supporté. Du coup, ici, ces petites allusions diffamatoires ne sont pas dirigées contres des « anglais », mais contre les populations du Nord. Pas du grand nord hein, juste un peu au nord, dirigés contre les gens d’une certaine ethnie que je refuse de nommer. Pas seulement ; contre nous les Kotocoli aussi hein. Disons nous la vérité, ce sont des choses qui existent toujours, (quoique moins fréquent) ; et tu verras des gens traiter d’autres d’  « espèce de Kabyès ; sauvage du Nord…, chauffeur de kotocoli.

D’après ce qu’on m’a dit, les populations du Sud (côtières), ont été les premières à être entré en relation avec le colon ; du coup, ils se prennent pour les premiers civilisés, les premiers instruits, les premiers intellectuels. Ce qu’ils ignorent, et ce qu’on ne leur dit pas, c’est qu’à Sokodé (chez moi), avec l’arrivée de l’Islam, nous on savait déjà lire et écrire l’arabe.  Ah ouais hein, il faut le dire aussi. Je sais, je fais mon chauvin, mais bon…

Honnêtement, les petites blagues, les petits tacles entre ethnies, cela n’a absolument rien de méchant, et on doit pouvoir se les faire, en fair-play. Moi cela ne me dérange pas qu’on me traite de chauffeur ou de chauffard, parce qu’étant Kotokoli. Mais ça me chagrine quand on veut lancer une petite boutade à un Kabyè, ou à un Losso, et qu’il le prenne mal. Les ivoiriens sont peut-être les premiers à avoir compris que rire des ethnies peut jouer en faveur de la réconciliation. Confer « Guéré à Abidjan » de Yodé et Siro.

 

 La culture est essentiellement ouverture sur l’autre dans un esprit de tolérance, pour se découvrir soi-même et découvrir l’autre. La diversité ethnique en elle-même peut être une source de richesse et de créativité si elle n’est pas instrumentalisée comme elle l’est actuellement. Or, l’expression de son ethnicité à travers les langues, les us et coutumes, l’artisanat peut permettre à notre pays d’avoir un répertoire assez varié et de proposer au monde une carte culturelle et donc touristique intéressante.

 Il est grand temps que nos dirigeants et les populations camerounaises cessent avec ces pratiques qui, au final, n’ont rien d’humain. Car qui sommes-nous pour juger, exclure, qualifier les autres à partir de facteurs qui en fait ne dépendent pas d’eux ni de nous ? Avons-nous décidé ou choisi de naître de telle ou telle autre ethnie au point d’en faire une barrière entre nous ? Qui sommes-nous finalement ?

Pour ma part, nous sommes des Hommes qui sommes nés chacun dans un contexte géographique, social, culturel bien précis sans forcément choisir cela. Alors, ce contexte et cet environnement ont permis de se construire. Maintenant, faut-il se juger en fonction de cette appartenance qui ne dépend pas de nous ou en fonction de notre humanité ou camerounité ?

 

Cher ami, moi Aphtal je ne peux jamais détester aucune autre ethnie au Togo ! Sérieux ! Les lianes Kabyè hein mon frère il faut les voir pour savoir si on peut détester cette ethnie ! Tu descends un peu au Sud, pour mater la croupe des Akposso ; tu vas à Bassar, tu monte vers Doufelgou, Kanté, Mango et Dapaong… Tu regardes toutes ces beautés, toutes ces filles, toutes cette diversités, et tu ne peux que conclure : j’aime le Togo dans sa diversité ethnique !

 

 

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Commentaires

Jean Romain
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Gabon. 2005. Élections présidentielles. J’étais alors au lycée. Faut dire que les lycéens en âge de voter sont légions chez moi, et donc une manne de voix que aucune campagne électorale aussi pompeuse que indécente ne peut décemment négliger. Et donc je m’ennuyais sagement dans un de ces cours de Sciences Nat. de la deuxième heure (entendez SVT, si çà peut soutenir votre intérêt une seconde de plus) quand le proviseur en personne fit son entrée. En chair et en os! C’est qu’on ne le voyait pas souvent, le monsieur? Enfin, long story short, il venait en remettre une couche, au cas où les affiches, les caravanes criantes et le battage médiatique n’auraient pas encore pénétré non cerveaux d’enfants. Bon, au moins il venait avec un argument imparable pour nous amener à voter pour le president sortant: "mes enfants, voyez-vous, nous avons actuellement 3 ministres fang (mon ethnie) parmi les ministres d’Etat. Alors si en plus le président fait un bon score dans notre province dans sa réélection (voilà qui semblait acquis) il va sûrement nommer un quatrième voire un cinquième ministre de chez nous".

On dirait une mauvaise blague! Je n’avais que 17 ans à l’époque... okay, 19, mais de toute façon ça ne m’intéressait pas, et bien que autant indifférent face au film déjà vu mille fois de la réélection d’un president africain, je me sentis tout de même assez blessé dans mon intelligence. Qui ne sait pas qu’un ministre, un ministre d’Etat de surcroît, est avant tout, et reste vivement un ministre de la RÉPUBLIQUE; et donc que son ethnie ne devrait pas avoir plus d’importance pour nous que le nom du premier chien de sa fille... ou de ses filles, s’il en a deux, même si c’est Bo. Pourtant voilà un monsieur, censé m’instruire, et dont les diplômes, j’ose croire, ne furent pas décernés par le plus grand bistrot du coin, ce démagu... pardon, pédagogue, dis_je, qui me sort un argument aussi léger que la mousse d’une pinte de bière restée collée à ma lèvre moustachue: votez pour lui , vous aurez ministre. Pas étonnant que la politique ne m’intéresse pas.

Ceci étant, j’adore votre blog, Aphtal!
Bye!

Moka
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Bonne composition de l'article en duo! Cool! Mais je dis: il n'y a que les lianes pour te faire apprécier la diversité culturelle et ethnique de ton pays? :o En tout cas, il faut bien une raison pour aimer les peuples de son pays; tu en as trouvé, c'est déjà ça! Bon début de week-end! ;)

Aphtal CISSE
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Mdrrr! Ton tacle lianique là, je l'attendais un peu, Moka! Bien sûr il y a plein d'autres choses: les tata sombas, la danse du couteau des kotokoli, prise de pierres chez les gars d'aneho là, ou encore Evala, ou autres sortes d'initiations violentes des peuples du nord! Mais pourquoi s'y arrêter, alors qu'on peut aussi admirer Akpema, et autres dans le genre?? Bref, suis mon regard...

Moka
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Voilà! Je savais que tu pouvais trouver plein d'autres raisons valables! Lol

Mimi
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Je suis désolée de voir que notre monde est aussi déchiré qu'il ne l'est aujourd'hui. En Afrique, c'est une véritable plaie qui à mon humble avis, est à la base de tous les maux ! Les guerres, qui occasionnent toutes les misères possibles, sont pour la plupart, pour ne pas dire dans leur totalité, engendrées par les différences d'ethnies ou de religions (chrétiens/musulmans). C'est un sujet qui m'est sensible. Je ne sais pas si étant métisse, je me sens appartenir à deux peuples tout en leur étant à la fois complètement étrangère. Mais une chose est sûre, les différences éternelles entre les gens, y en a assez... Apprenons à nous aimer et surtout à nous unir ! Merci pour cet article !

Aphtal CISSE
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Hehehehe, une liane métisse sur mon blog hein? Bon, tantie, attends, tu es quand même un peu togolaise ou bien? Ca peut suffire je crois; pas besoin de savoir si tu es Moba ou Kabyè ou Ouatchi. LOL!

Bon ben, disons que j'attends que tu écrive aussi sur la chose alors... Des bises, Mimi