Faisons une mise à jour de nos traditions…

Salam aleykoum, chers lecteurs. J’espère que vous vous portez tous bien, par la Divine Providence. En ce qui me concerne, je me porte plus ou moins bien ; je viens de sortir d’un long et pénible conseil de famille auquel j’ai été convoqué ad hoc. J’en suis encore tout sonné ! Mais avant tout, avant de débuter mon bla-bla, sachez que je suis… bref !
Je suis togolais ; cela vous ne l’ignorez guère. Je tiens en outre à préciser que je suis de l’ethnie Tem ; je suis Kotokoli, originaire de Sokodé. Vous savez, on dit souvent des Kotokoli qu’ils ne fréquentent pas, qu’ils sont que des chauffeurs de taxi ou de bus ou de camion ; on dit que nous sommes sales, crasseux, belliqueux, mesquins ! Mais bon, ce sont des railleries entre ethnies, et si la réconciliation nationale doit passer par là, pas de souci, je suis Kotokoli et fier de l’être. Wallaye !
Malgré toutes mes convictions personnelles, religieuses, sociales et philosophiques, je tiens également à vous préciser que je suis très respectueux des coutumes de chez nous : se baisser pour saluer les aînés, se déchausser avant de rentrer voir ses parents, s’humecter le visage des crachats du patriarche qui te bénit, payer la faba aux ayant droits… Ce pourquoi j’ai été convoqué en Conseil, c’est justement pour la faba.
Chez nous, la « faba », c’est une somme d’argent symbolique, ou tout autre présent, qu’un oncle offre à ses neveux, fils de sa sœur ! Cette somme se donne également entre cousins, bref, il y a toute une panoplie de règles qui entourent la chose…
Voici l’historique
Dans ma famille, j’ai un neveu plus âgé que moi ; oh bien plus âgé que moi. Mais la coutume c’est la coutume : c’est l’oncle qui verse la faba, sans égard à l’âge. Mon neveu a une façon particulière de réclamer sa faba : il est violent, et parfois agressif. On en ri tous dans la famille, et c’est devenu le signe par lequel on le distingue. Lui il ne négocie pas sa faba, il l’exige et la reçoit. Et si tu résistes, il s’empare de ton téléphone, de ta montre, de ton sac, bref de tout ce qui pourra t’obliger à lui payer, quitte à t’endetter.
J’ai eu le malheur de croiser mon neveu à des funérailles : il m’a dépouillé de mon seul billet de 1.000 Francs CFA ; on s’est croisé une fois dans un super marché : il m’a obligé à payer sa tablette de chocolat ; on s’est croisé par pur hasard à une cérémonie de baptême : sans honte, le gars me réclame encore la faba.
Son fait d’armes le plus célèbre, demeure cette soirée où, nous nous sommes croisés à Agbalépedogan, chez une vendeuse de frites, chacun accompagné d’une charmante liane. Ce jour là, il me menaça de me foutre la honte, si je ne lui achetais pas de la viande sur son plat à lui. Malgré toutes mes supplications, il passa la commande en mon nom, et pire, se permet une bouteille de boisson. J’ai dû priver ma cavalière de viandes, de jus de bissap, et de frais de déplacement pour pouvoir « respecter la tradition ». Dieu m’est témoin : deux ans déjà, je suis toujours à la case « restons amis », avec ladite liane.
Ce qu’on me reproche :
Samedi dernier, j’ai décidé de dépenser le seul billet bleu qu’il me restait, en sucreries et autres plaisirs puérils. Je me rends donc dans le Shell-shop (ces boutiques dans les stations d’essence) d’Agoè, pas loin de chez moi, pour y prendre des chocolats, du dêguê, et autres. Pour ceux qui connaissent l’endroit, il y a une agence Ecobank juste à côté, avec en plus un distributeur automatique de billets. C’est là que je me suis rendu, après mon achat ; juste pour saluer un camarade qui y est en stage.
C’est en ressortant de l’agence Ecobank, les bras chargés du joli plastique du supermarché, et d’un calendrier, que j’aperçois un type au loin, se frottant les mains et s’approchant de moi, à grands pas assurés. J’ai fini par reconnaître le neveu, qui, une fois à ma hauteur, pose un bras sur mes épaules, puis tente de regarder l’intérieur des plastiques, sans même me saluer, sans prendre de mes nouvelles, sans demander d’après la famille. Je réagis de façon à ce qu’il perçoive mon gêne :
– « Onclo, tu me connais hein ; ouvre le plastique là on va partager, ou bien tu me remets 1.000 F là bas tranquillement ! Allez fais vite.
– C’est parce que tu ne me connais pas que tu continues par m’embêter de la sorte. Colle-moi la paix. Si tu n’as pas honte, il faut avoir pitié des autres, ou au moins avoir peur de Dieu. Je te le jure tu n’auras rien cette fois. »
Ceux qui comprennent Kotokoli savent combien ma réplique peut-être sèche, dans le dialecte.
Nous étions en train de traverser en diagonale la station d’essence ; il pensait me surprendre en essayant de saisir de force les plastiques avec sa main gauche, en m’immobilisant avec son bras précédemment posé sur mes épaules. Dès que j’ai senti la moindre pression sur moi je me suis mis à hurler :
« Au voleur ! Au voleur ! Au secours ! Aidez-moi ! Aidez-moi ! Au secours ! Au voleur ! C’est un voleur ! Mi va hô nam looooo »
Imaginez vous-même l’effet que peuvent produire les cris de détresse d’un jeune homme qui vient de sortir d’une banque, d’une agence Ecobank, en ce mois de décembre, en ces périodes de fêtes !
J’ai moi-même été surpris par la promptitude des militaires en faction devant la banque. Le neveu a tenté de rigoler avec les militaires en leur expliquant les liens qui nous unissaient ; on ne lui a pas permis de placer plus de deux mots : une première gifle, une prise de karaté puis le nigaud est rapidement mis à terre. Hein ! Les gars, ne vous amusez jamais avec militaires togolais hein. Bref moi j’ai tout de suite tourné les talons, le laissant seul à son sort.
C’est lors du conseil de famille que j’ai appris qu’il a passé le week-end au commissariat d’Agoè, avant d’être libéré le lundi à midi. Ils ne m’ont pas non plus permis de placer un seul mot durant le conseil. Mais je leur en suis reconnaissant, sinon je leur aurait craché que j’emmerde leur tradition, j’emmerde mon cousin, et que je les emmerde tous, eux qui ne savent pas comment je survis dans cette capitale, mais qui veulent m’obliger à entretenir un abruti de cousin qui s’est érigé en escroc au nom de la tradition.
Je suis Kotocoli et fier de l’être ! Je continuerai de payer la faba aux neveux qui le méritent, et dans la possibilité de mes moyens. La tradition, si elle a pour but de me ruiner, eh bien je l’emmerde!
J’ai dit!
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