Des journalistes et des titrologues
J’ai toujours eu un léger sourire, à chaque fois que mes collègues de Mondoblog (Suy et Sinath, en l’occurrence), recensent les parutions de leurs pays (Côte d’Ivoire et Bénin), pour en faire des articles ! N’allez pas imaginer un rictus méprisant sur mes lèvres hein ! J’ai énormément de respect pour le travail que ces personnes abattent. Non seulement ils abattent un travail de qualité, mais en plus le respect intellectuel impose de s’incliner devant une tâche accomplie par un autre, lorsqu’on est incapable de faire pareille.
Oui, je suis incapable de faire pareil, parce que moi, les presses ne m’intéressent pas vraiment. Je ne vais point me justifier ici. Mais si je décide de tirer mon chapeau à ces collègues précités, eh bien c’est parce qu’ils font, de façon plus professionnelle certes, ce que de nombreux togolais font tous les jours: La Titrologie !
Certains d’entre vous ont déjà une idée de ce que je veux dire, d’autres non ! Eh bien, la titrologie, c’est cet art, qui consiste à faire une sorte de revue de la presse, mais en s’arrêtant juste aux titres de « la une », sans acheter une seule parution, et à la commenter comme si on était rédacteur en chef d’un quotidien !
Comment devient-on titrologue ?
D’abord, pas besoin de diplôme ! Un étudiant, un lycéen, un collégien, un élève, un conducteur de taxi, de taxi-moto, de camion, commis d’administration, Directeur de société, secrétaire, revendeur de friperies, ou même journaliste, n’importe qui peut être titrologue, l’essentiel est de savoir lire plus ou moins bien le français, même si on n’y comprend pas grand-chose !
Ensuite, le bon titrologue n’achète jamais, ou presque, de presse. Ah non, jamais ! Au grand jamais ! Un bon titrologue, ça croise les bras dans le dos, ça soulève le front vers les gros titres et ça secoue la tête après avoir tout lu. Ensuite, ça rejoint le groupe de ceux qui ont lu avant lui et se met à débattre d’un sujet dont il ignore ce dont il en est véritablement, dans l’article !
Le bon titrologue défend bec et ongle sa conception ! Aussi erronée soit-elle, aussi saugrenue ou tordue soit sa compréhension du « gros titre », il est prêt à se battre, pour la défendre ! Ah oui, c’est comme cela ; c’est lui qui a raison, ou au pis des cas, c’est lui qui aurait du avoir raison, alors….
Il n’est pas rare de voir des titrologues en venir aux mains, devant un kiosque, juste parce que l’un a été mal compris, risiblement contredit et blessé dans son amour propre.
Du coup, l’actualité a plusieurs sens, à Lomé : d’abord, le sens que le rédacteur donne à son article, celui que les lecteurs avertis lui donnent, et enfin celui que les titrologues lui donnent. Quelques petits exemples ?
Un gros titre : « Le régime politique de Faure Gnassimgbé est un régime de type bâtard » ; dans la rue, cela peut vouloir dire : « Faure est un bâtard, il n’a pas de père ; même le premier ministre ne connait pas sa mère ; ne parlons même pas des ministres ; ils ont été abandonnés à leur naissance ; je te jure, c’est écrit ici, ce régime est bâtard ; ils sont tous bâtards » ! Alors que nous savons tous qui est le père de l’actuel chef de l’état togolais.
Une presse qui titre : « Le Roi de la musique togolaise King Mensah est SDF ». Automatiquement, on pense à Sans Domicile Fixe ; oui, cet artiste de la chanson, cet illustre et talentueux personnage, est un SDF ? Que c’est triste, oh la la ! On se mettra à trouver la cause de sa soudaine chute financière : s’il n’est pas tombé en disgrâce aux yeux des politiques, c’est le Vodoo qu’il adore qui le punit sûrement ! Pauvre de King Mensah ! Et pourtant, il aurait fallu lire l’article pour comprendre que le rédacteur voulait dire par SDF « Sans Difficulté Financière ». Oui c’est cela, l’actualité au Togo. On se contente des gros titres, et on polémique dessus.
Si jamais une parution affiche « Difficultés financières : élection repoussée aux calendes grecques », cela voudra dire pour beaucoup, que l’Union européenne refuse de financer les élections, et donc on se tourne vers la Grèce ; on attend de voir leur calendrier, et puis ils nous diront quand financer nos élections.
Il y a une chose : certains journalistes font réellement la honte de la corporation : ils aiment le sensationnel, ils aiment faire l’effet d’une bombe, ils donnent des titres rocambolesques à des articles complètement creux, ils illustrent les articles d’images crues, n’ayant rien à voir avec ce qu’ils racontent ! Mais c’est un métier noble, le journalisme ! Je le respecte énormément, et je respecte tous ceux qui font du bon boulot, en toute impartialité.
Mais encore faut-il que ces journalistes se fassent lire ! S’arrêter aux titres des journaux, voilà un exercice fort plaisant mais qui tue l’actualité, qui tue la presse, qui tue le journaliste, et qui tronque la vérité.
Être titrologue, c’est bien ; lire l’article, comprendre le rédacteur, aller au-delà de son analyse, pouvoir se faire sa propre opinion sur le sujet abordé, voilà une tâche que seuls accomplissent les mages !
Une pensée pour tous ces journalistes morts dans l’accomplissement de leur métiers !
J’ai dit !
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