Les frasques d’Arouna

27 septembre 2012

Les frasques d’Arouna

Lorsqu’Arouna boucla sa dernière valise, il était tout autant excité de revoir sa douce et tendre Emefa que sa Da’a. La première, c’est sa complice, la seconde, sa génitrice ; les deux femmes les plus importantes de sa vie. Avant de ranger son passeport dans la poche interne de sa veste, il reluqua une dernière fois son billet. Un aller simple Toulouse-Lomé. Une courte prière adressée au ciel, il sort rejoindre ses amis qui l’attendaient au salon, venus lui dire au revoir, et surtout lui confier quelques colis pour la famille restée au pays. Ils s’embrassent, s’échangent quelques blagues puis direction aéroport. L’enregistrement des bagages fut rapide, et l’appel ne se fit point attendre. Quelques minutes plus tard, Arouna prit place sur le vol Air France, en direction de sa patrie.

Il sortit la photo qui jamais ne le quittait. Le visage innocent, calme, souriant, serein, envoutant, et enivrant d’Emefa ne fit qu’amplifier sa détermination à rentrer au pays. Arouna faisait partie de ses jeunes gens qui croyaient au travail libérateur. Orphelin de père, et aîné de deux frères, il vécut à la charge totale, effective et permanente de sa mère. Conscient de sa situation, il ne trouvait du réconfort que dans les fortes notes que les enseignants lui attribuaient. Après son Bac II, il réussit à s’inscrire en faculté de médecine dans une université du sud de la France. Là aussi, il réussit brillamment et obtient son doctorat au bout de huit années d’études, et deux années de stage pratique. Dix ans donc qu’il avait quitté le Togo, dix ans passé loin du giron maternel, loin des câlins d’Emefa. Il demeura sourd aux supplications de ses compatriotes, et était convaincu que sa place était au pays ; il sentait la nécessité de retourner assouvir les pleurs de sa nation.

« …. Veuillez s’il vous plaît attacher vos ceintures…. » La douce voix de l’hôtesse ramena Arouna à la réalité. Il respira un grand coup, rangea la photo, puis attacha sa ceinture. Il ne dormit point, durant le vol, et son excitation redoubla durant l’escale de Dakar. Rentrer au pays, revoir les camarades, embrasser à nouveau sa mère, blaguer avec ses petits frères, faire l’amour avec Emefa,… tout cela le rendait à la fois heureux et nerveux.

Le dernier virage effectué par l’avion pour se positionner sur la piste d’atterrissage dévoile Lomé sous un angle qu’Arouna n’a jamais vu. Lomé, à cette heure de la nuit, était à la fois si vive, si animée, si éclairée, si vivante, si accueillante, et  si…  L’avion,  après d’interminables minutes, finit par s’immobiliser. Arouna faillit bousculer tout le monde pour sortir le premier. Mais, la sagesse, et surtout son nouveau statut de Médecin-généraliste reprirent le dessus.

Il récupère ses bagages, accomplit les formalités douanières, puis sortit du hall. Il n’eut point à attendre longtemps. Quelqu’un hurle son prénom et se jette presqu’aussitôt à son cou. Il serra fortement l’inconnu contre lui avant de reconnaître son petit frère Ahmed. Permettez que je passe sous silence la scène de liesse de l’aéroport.

On s’échange les salamalecs d’usages, on prend les nouvelles de toute la famille, on rigole des minutes durant, on remercie le Ciel pour ses bienfaits, puis on congédie tout le monde, afin de laisser Arouna se mettre à l’aise, et se reposer. A chaque jour suffit sa peine.

Le nouvel arrivant retrouve sa chambre d’adolescence, dans le même état où il l’avait laissé. La même couleur sur les murs, les meubles et le lit toujours aux mêmes endroits, et une bonne odeur de javel, témoignage d’une récente mise au propre. Arouna dormit comme jamais il ne l’a fait, ces dix dernières années. Il sonnait presque quinze heures lorsqu’il ouvrit les yeux. Rapidement, il prend une douche, et rejoint Da’a. il s’entretint des heures durant avec sa mère qui visiblement faiblissait sous le poids de l’âge. Arouna refusa poliment mais fermement d’aller saluer ses oncles et tantes comme sa mère le lui avait demandé, et préféra réserver sa toute première sortie à Emefa. Il demanda à Ahmed de mettre au propre la voiture de Da’a, et de s’apprêter lui-même à l’accompagner.

Emefa savait qu’Arouna se préparait à rentrer, mais ignorait la date exacte de son arrivée. Celui-ci voulait lui faire la surprise. Il prit donc un petit sachet dans lequel se trouvait un petit présent, un parfum Chris Adams. Il réservait le gros du cadeau pour les prochaines visites, et surtout lorsqu’Emefa viendra chez lui. Il s’habilla légèrement mais de façon fort élégante. Une magnifique Paul Smith blanche, boutonnée à moitié, un pantalon de velours, une Rolex au poignet, et surtout ce parfum insistant, embaumant, léger, et agréable qui caractérise tous ceux qui reviennent à peine de la métropole.

Arouna cachait mal son excitation, et Ahmed avait du mal à le comprendre. Il était également surpris par la facilité avec laquelle son aîné se retrouvait dans cette ville qui a beaucoup changée. Les rues n’étaient plus vraiment les mêmes, les quartiers avaient complètement changés. En dix ans, Lomé s’était vraiment métamorphosée. Pourtant, Arouna semblait n’avoir jamais quitté la ville. Il s’y retrouvait avec une facilité déconcertante. Ne sachant pas vraiment où ils allaient, surtout qu’Arouna roulait vite, le petit frère préféra discuter de choses banales. Il sonnait vingt et une heures lorsqu’Arouna gara la vieille Mercedes de sa mère devant la maison d’Emefa. Ahmed hésita quelques instants avant de descendre ; Arouna lui, tambourinait déjà la porte.

Partagez

Commentaires