Ces privilèges qui retardent la République…

Janvier 2009, j’étais un charmant innocent étudiant à la faculté de droit à l’université de Lomé. Ce mercredi, je venais de finir ma journée aux alentours de 18 heures, par un cours d’institutions administratives, et il m’était impossible, en tout cas pour le moment, de sortir de l’enceinte de l’université ! Pourquoi ? Le « Président va passer bientôt », m’avait-on répondu. Sauf que le mot « bientôt » avait un autre sens, à l’époque.
Mars 2012, je roulais ma bosse dans une étude d’huissier de justice en tant que stagiaire. Ce jeudi, tout pressé d’aller déposer un acte au greffe du tribunal de première instance de Lomé, mal m’en a pris, lorsque, arrivé au niveau de Cica Toyota, des militaires nous arrêtent, pour « préparer la route du Président qui va bientôt passer ». Pour une seconde fois, les rédacteurs du Petit Larousse se sont trompés sur la signification du mot « bientôt ».
Depuis ce jour, je me suis mis à détester le président de la République, lui et tout son cortège de gros véhicules qui doivent bloquer la vie de toute la capitale avant de passer ! Mais cela, c’était avant… (J’ai bien dit c’était AVANT hein)
Au fait, chers lecteurs, bonsoir à vous. Je vous ai convié une fois de plus sur ce blog, pour vous faire part de mon aigreur ! Oui, cette fois, je l’avoue sans honte : je suis aigri. Très aigri !
Mais rassurez-vous, je n’ai absolument rien contre le président de la République. Oui, j’ai fini par comprendre, que le président de la République était à lui tout seul une Institution, et à ce titre, avait droit à certains privilèges : Mercedes Maybach blindée, motards, gyrophares, jeep surmontée de mitraillettes, une brochette de bérets verts, et quelques agents des services secrets. Ouais, cela ce sont les privilèges de la fonction, et nul ne pourra rien contre cela. Aussi, que la femme du président, ses enfants, aient un convoi lors de leur déplacement, cela est tout à fait normal. C’est la « first family », pour employer le terme américain.
Que le président soit un Gnassingbé, un Cissé, ou un Douti, il aura droit à ces privilèges, nous sommes d’accord. Bon, si après, le président veut se contenter d’un scooter pour aller acheter une pizza, cela n’est plus mon affaire, et c’est un autre débat. Suivez mon regard…
Jusque-là tout est normal…
Ce qui l’est moins, ce sont les privilèges que s’octroient certaines personnes qui ne sont en rien mêlées ni de près ni de loin, à l’organisation et à l’exercice du pouvoir. Bon, c’est vrai que nous nous amusons à dire « l’Eat, c’est toi, c’est moi ; c’est nous tous » ; mais tout le monde dans l’Etat ne se déplace pas avec des bérets verts, c’est sûr.
Ce que j’aimerais dire en fait, ce sont les « super pouvoirs » qu’ont certains proches du président de la République, notamment ceux-là qui portent le même patronyme que lui.
Quelque part à Cacaveli, il est interdit de jouer de la musique au-delà de 20 heures, même dans une veillée funèbre, interdit de troubler la quiétude d’une soeur du président qui vit dans les alentours.
Quelque part à Kégué, toute une rue est interdite à la circulation. Des déviations sont prévues pour les riverains. Pourquoi ? Eh bien, cette route passe devant la demeure d’un frère du président.
Quelque part à Agoè, un autre demi-frère fait construire des élévations de la chaussée (dos d’âne) en face de sa belle demeure. Pourtant, sur la même chaussée, il y a un officiel (j’ignore qui exactement), dont le seul signe distinctif est la présence des policiers et militaires en faction. Pourquoi est-on obligé de ralentir devant la maison d’un individu qui n’occupe aucune fonction officielle, et donc ne mérite pas tant d’attention ?
– Je vous l’ai déjà annoncé je suis aigri. Très aigri ! Car je ne vois pas ce qui permet à une Togolaise d’envoyer des militaires intimer l’ordre à d’autres Togolais qui fêtent, d’éteindre leur musique ! (j’étais DJ à la fête-anniversaire de cette charmante liane). Je ne vois pas au nom de quelle loi, la même Togolaise demande à ce qu’on mette fin au déchargement des marchandises (sacs de charbon de bois) d’une commerçante, sous prétexte qu’elle se repose ! Je ne vois pas ce qui, comble du foutage de gueule, autorise la même Togolaise, à demander la fin d’une veillée funèbre, sous prétexte qu’elle a besoin de silence pour s’entretenir avec ses convives !
Et pour prouver qu’être Gnassingbé vaut plus qu’être ambassadeur, on organise une fête pour ses gosses, de 15 h à l’aube ; fête à laquelle de la musique live est jouée jusqu’au lendemain. Les autres Togolais du quartier, eux, n’ont pas droit au sommeil ? Que possède cette dame de plus que les autres, à part le nom qu’elle porte ?
– Je ne vois toujours pas pourquoi, un autre Togolais, juste parce qu’étant fils de l’ancien président, et demi-frère de l’actuel président, fait des élévations de chaussée devant sa maison, alors que le Kotocoli que je suis ne peut pas demander à la préfecture du Golfe de faire construire des dos d’âne sur un tronçon où des enfants meurent chaque semaine d’accident de circulation. C’est juste aberrant et révoltant.
– Je refuse de comprendre pourquoi, un citoyen, fut-il ministre de la Défense, peut se permettre de boucler tout un pâté de maisons, acheter (ou arracher avec de l’argent, et des menaces en plus) les maisons voisines, pour en faire une zone interdite à tout autre Togolais ! Ce n’est certainement pas la fonction ministérielle qui accorde autant de prérogatives ; sinon, j’attends toujours que le ministre de l’Economie et des Finances fasse pareil hein !
– Je ne comprends toujours pas pourquoi on nous demande de sortir d’une piscine, afin de faire place aux morveux de neveux et nièces du président, venus nager. Voilà des gens qui ont déjà une piscine chez eux, et qui peuvent aller nager en Espagne s’ils le voulaient. Mais non ; c’est la petite piscine du quartier là qu’ils choisissent, en demandant à être seuls, en plus. Voilà ce qui crée l’aversion que les gens ont pour cette famille, et par ricochet, leur ressentiment envers le président !
Je le répète, je n’ai rien contre la famille présidentielle, mais je crois que ce sont les Gnassingbé eux-mêmes qui sapent les efforts de leur jeune frère, président de la République.
Son excellence Faure Gnassingbé a beau faire des discours contre la corruption, on ne le prendra jamais au sérieux; le président aura beau partir en guerre contre la « minorité qui accapare les biens du pays » : il suffira de voir le train de vie de ses propres frères (qui n’ont aucune profession déclarée), pour douter de sa sincérité ! Le président aura beau crier à l’apaisement : ce sera de la tromperie, tant que certains frangins de la famille pourront disposer de notre vaillante armée, à leur guise ! Le président aura beau émettre le vœu de la réconciliation : ce sera un vœu creux tant que des frères/sœurs du président se feront détester à cause de leur comportement exécrable.
Sérieusement, pourquoi être frère du président fera de vous un être intouchable ? Pourquoi se permettre des choses qu’on interdit aux autres citoyens, uniquement parce qu’on est une sœur du président ? Je n’ai absolument rien contre la famille du président, mais puisque l’actuel président de la République en est un, je suis dans la triste obligation de décrier les écarts que se permettent ses frères et ses sœurs !
Je me dis qu’être un Gnassingbé ne doit pas conférer ipso facto des pouvoirs au détriment des autres Togolais. Ce dont je suis convaincu, c’est que l’entourage direct du Président de la République doit être le reflet de ses idéaux ! Il n’y a pas meilleurs ambassadeurs de la politique d’un chef d’Etat, que ses parents, et ses proches. Ce sont eux que nous côtoyons tous les jours ; et si nous les détestons, il ne nous sera pas difficile de détester le président de la République ! Après tout, ne dit-on pas qu’un président incapable de maîtriser sa famille est incapable de maîtriser la nation ?
Nul n’est censé être au-dessus de la Loi ; qu’il en soit ainsi pour tous les autres Gnassingbé qui ne sont pas LE Président de la République.
J’ai dit !
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