Ces togolais dont les ancêtres sont Gaulois…

Bizarrement, je viens de réaliser que ma petite vie professionnelle s’est passée sous des dames. De l’huissier de justice à mon actuel poste, je n’ai servi que des femmes ; de belles femmes, des femmes fortes, des femmes dignes, des femmes avec je m’entends toujours bien. Que ce soit sur le plan professionnel ou ailleurs, j’ai toujours entretenu, des relations privilégiées avec mes supérieures hiérarchiques. Ne laissez pas libre cours à votre imagination trop fertile…
Le Vendredi dernier, alors que je me préparais à aller jouer au foot, je reçois un appel téléphonique de l’une des mes ex-supérieures. Elle est un peu prise au boulot, et me demande de passer prendre sa voiture, pour aller chercher son fils à l’école. Bon j’hésite un peu mais, comme j’aime rendre service (aux dames surtout), je finis par accepter.
Ah sacrée Mme Vivi. C’est avec plaisir que je grimpe à bord de sa Touareg, climatisation à fond, avec « I believe I can fly » de R.Kelly, en fond sonore. L’école du môme, une école internationale, est à l’autre bout de la ville, quelque part non loin de la caserne des sapeurs pompiers de Lomé. Je n’ai vu l’enfant qu’une seule fois, et en photo : un jeune enfant à l’air vif.
A mon arrivée, Bob – c’est son nom– attendait au portail, en compagnie de l’un de ses enseignants. Il reconnait la voiture, mais pas celui qui la conduisait. Je descends donc, salue l’enfant puis l’enseignant, qui ne voulait manifestement pas me laisser partir avec le gosse. Pas de soucis. Il compose le numéro de Mme Vivi, qui lui autorise de me confier l’enfant. Coup de théâtre : Bob demande à voir ma carte d’identité. Je l’aurai giflé si c’était mon neveu, ou si on était ailleurs, mais bon, je m’exécute. Foutaises ! Un gosse de quoi, 12 ou 13 ans qui veut voir ma carte, moi son vieux père !
Une fois à bord de la voiture, il boucle sa ceinture et me demande de faire pareil. Je ne lui réponds même pas. Il me demande alors si j’ai un permis de conduire. J’ignore la question. Ce n’est qu’après avoir démarré, qu’il se met à me poser des questions, aussi stupides qu’inutiles, mais dans un français… un français de France, un français avec des accents de Hollande, des tournures de Sarkozy, et avec la désinvolture de Le Pen. C’est un français qui, lorsqu’on le parle, ne trahit pas l’ethnie ou la classe sociale. Un français d’Anatole France !
Puis s’installe un dialogue.
Ma maman elle est où ? Pourquoi elle vient pas me chercher ? Tu travailles avec maman ? Tu fais quoi toi ? Tu habites au quartier aussi ? Pourquoi tu ne mets pas ta ceinture ? Ma maman elle, tu vois, elle met toujours sa ceinture, tu vois ? C’est pour notre sécurité, tu comprends ? Tu roules pas un peu trop vite là ? Allez, quoi ! Dis quelque chose !
Je lui accorde un regard, histoire de m’assurer que j’étais bel et bien en voiture avec un togolais, né d’un brassage national entre Kabyè et Moba. Impossible d’être métis avec de telles origines. Pourquoi le petit là parle comme ça même ? Hein ?
– Tu fais quelle classe, toi ?, lui demandai-je
– Chui en sixième.
– Ah ok ! Les cours ça avance ?
– Bah ouais. Ma prof d’anglais m’aime pô. Elle dit que je fais pas assez d’effort. Tu t’appelles comment, toi ?
– Aphtal.
– T’es musulman? Tu pries? Tu manges pas du porc, c’est ça? T’es du nord du Togo, n’est-ce pas?
– Oui je suis du Nord, tout comme toi. Sauf que moi je ne suis pas vraiment au Nord. Je suis au centre; je suis de Sokodé!
– Sokodé, c’est où?
– Tu dois être un piètre élève, toi! Tu ne connais pas Sokodé? Reprends tes cours d’histoire-géographie, fiston, et révise les cours sur « Les éléments venus du Nord« .
– Les éléments venus du Nord, tu dis? Chui pas sûr d’avoir ça au programme cette année. T’as appris ça, toi quand t’étais élève?
– Mais bien-sûr, on est tous passé par là hein! Toi, on t’a pas appris que les kabyès sont tombés du ciel, et que Moro Naba est…
– Moro quoi?
Puis il éclate de rire. J’ai d’abord cru à une mauvaise plaisanterie mais je dus me rendre à l’évidence. Ce petit ne comprenait rien de ce que je lui raconte.
– Tu sais au moins que tu es Moba non ?
– Oui oui, des cousins ne cessent de me le répéter. Bof, c’est super ennuyant à la fin.
– Hey, on vous apprend quoi, à votre école là-bas hein ? Vous avez quoi comme programme ?
– Bah, on fait de l’anglais, les langues vivantes, euh, l’éducation musicale, les arts plastiques, l’histoire et la géographie, le sport, euh…
– Ouais mais on vous apprend quoi, en Histo-géo ?
– Bah, ce qu’il y a au programme.
Puis il se met à débiter des trucs qui me sont inconnus à moi, son aîné intellectuel. Enfin, j’aurai pu les savoir, ces trucs sur internet, mais bof…
En bref, le programme scolaire auquel était soumis Bob, est un programme complètement…étranger.
Ce pourquoi je m’afflige !
Originairement, les écoles internationales, sont réservées aux enfants des fonctionnaires expatriés, ou internationaux. Dans quel but ? Eh bien celui de rester en contact avec le programme scolaire du pays d’origine. Des hommes, à travers le monde, préfèrent éduquer leurs enfants selon leur origine. Et nous, togolais ?
Nous foulons aux pieds l’éducation nationale, en envoyant nos enfants dans des écoles étrangères. Dans quel but sinon celui de faire d’eux, des étrangers ? Allez lire un peu les programmes proposés dans ces écoles, lisez un peu ce que ces enfants ont comme cours, et vous verrez qu’ils apprennent autre choses, sinon désapprennent. On leur apprend à jouer du violon et du piano, à danser du tango, à faire des dessins débiles ; on leur apprend que les enfants ont des droits que même les parents ne sauraient violer ; on leur dit que les hommes sont libres et égaux, et homosexualité ou hétérosexualité, c’est la même chose ; on leur demande d’aller passer des colonies de vacances à Nantes, ou à Toronto ; on leur enseigne la vie de Ronsard, Hugo, Napoléon, Charlemagne…
Que faites-vous de nos Moro Naba, nos Samory, nos Soudjata ? Quid de Lokua Kanza, Miriam Makeba, Lucky Dube, King Mensah ? Nous avons nos balafons, nos xylophones, nos danses traditionnelles ; Akpema, bôbôbô, adossa-gadao et autres… Kpalimé et ses cascades que les blancs prennent d’assaut, ne nous suffit-elle plus pour nos vacances ? Avépozo, Sokodé, Mango, autant de sites touristiques et de richesses dont certains de ces enfants n’en sauront jamais rien.
Chers lecteurs, qu’on se le tienne pour dit : ces écrits ne sont pas ceux d’un frustré, ou d’un jaloux qui aurait aimé fréquenter ces écoles branchées, et autres. Loin de là. Je ne fais que m’indigner face aux comportements de mes compatriotes qui s’aliènent, et se déracinent complètement. L’éducation togolaise est à revoir, certes, mais elle est incontestablement l’un des meilleurs gages de la formation de futurs citoyens, de fiers républicains, et d’irréductibles nationaux.
Franchement: vers quoi courrons-nous si nos enfants ne connaissent pas notre propre village, ignorent tout de leur ethnie, de leurs histoires, de leurs peuples et de leurs grands hommes ? Où se situe la souveraineté nationale si, des écoles étrangères dérogent complètement au calendrier scolaire national, au programme d’enseignement, et aux méthodes d’évaluation ; que vaut la souveraineté si des écoles officiant sur le territoire national, inculquent à nos enfants des valeurs que nous ne partageons pas ?
Ces nouveaux riches qui croient être émancipés en envoyant leurs gosses à l’école américaine, britannique, islamique, indienne ou française, font du mal à notre peuple ! Nous déplorons déjà l’incapacité de nos pays à construire des Centres culturels, ou à ériger des Instituts, en occident ou en Orient ! A défaut d’exporter notre culture et nos civilisations, protégeons au moins notre pré carré, et affirmons nous à l’intérieur.
Je me suis plaint à Dakar, de la dictature du Wolof ! J’aurai énormément aimé parler des Tata Somba avec Bob, au lieu de l’écouter décrire stupidement le château de Versailles !
J’ai dit !
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