Justice populaire

Le pouvoir judiciaire, au sein d’un état, est seul habileté à juger et condamner un coupable, au terme d’un procès juste, équitable, respectant les droits fondamentaux, et surtout les droits de la défense.
J’étais tranquillement à la maison, un Lundi, regardant le journal télévisé avec le reste de ma famille, lorsque des bruits de moteurs roulants à vive allure nous parviennent. Ce n’était pas chose rare, surtout depuis que la seule voie qui traverse notre quartier a été élargie, bitumée, et éclairée. J’étais presque sûr que certains étaient en train de tester le moteur de leurs engins, comme c’est généralement le cas. Quelques instants, le bruit d’une ferraille trainée sur du goudron nous parvient également. Cela devait être un accident. Notre demeure se trouvait à quelques pas de la voie principale, alors pour en avoir le cœur net, on m’envoie voir ce qui venait de se passer.
Sur les lieux, effectivement, je pus voir une moto Sanili dont seule la roue arrière émergeait de la rigole. Un homme gisait à côté, inerte pour le moment. Les autres cyclistes, six ou sept environ, freinent tous, garent rapidement leurs engins, puis se ruent sur l’accidenté. Je pensais que c’était pour lui porter assistance. Je voulu m’approcher également, mais je dus déchanter très rapidement. Le premier à s’approcher du blessé, au lieu de s’enquérir sur son état, lui décocha un violent coup de pied dans le flanc. On aurait dit un coup-franc de Cristiano Ronaldo. Les autres le rejoignent, et rapidement, se mirent à lyncher le pauvre mec au sol. L’accidenté tenta plusieurs fois de se relever, en vain, tellement il pleuvait des coups de poings.
Par réflexe, je sort mon téléphone puis alerte la police. Ils ont fini par répondre et ont promis se mettre immédiatement en route, après que je leur ai donné ma situation géographique. Après seulement, je m’approche de l’un des bourreaux, qui essayait de sortir la moto du ravin, et lui demande ce qui se passait exactement. Les yeux rouges, injecté de sang, et le regard noir, il me répond qu’il s’agit d’ « un voleur qui a tenté de voler la moto avec laquelle, par la Grâce de Dieu, il vient de tomber ». J’ignore pourquoi mais, je l’aidai à sortir la moto. Quelques riverains, curieux ou paniqués, commencent à accourir. Très rapidement, une immense foule se forme. Jusque là, point de répit au voleur ; il était toujours copieusement passé à tabac.
L’un des poursuivants se rue vers un atelier de mécanicien, et en revient avec un pneu. Au même moment, celui qui bénéficia de mon aide pour sortir la moto de la crevasse était accroupi près du moteur de ladite moto. Quelques minutes, il se releva, avec un petit récipient, plein d’essence. Le temps de réaliser ce qui se tramait, le prétendu voleur était déjà aspergé de carburant, puis on lui passa le pneu de vélo au cou. C’était clair : le gars allait se faire cramer.
Le pis fut néanmoins évité…
Nous comprimes que les poursuivants n’étaient point prêts d’attendre la police, et qu’ils cherchaient une allumette pour embraser le voleur de la moto Sanili 125. Ceux qui étaient présents, tous mes voisins de quartier, refusèrent d’assister à une scène de barbarie, dans notre fief, Cacaveli City Crew. On commença à s’opposer aux cinq poursuivants, on mit le voleur hors d’atteinte de coups, et on leur proposa d’attendre l’arrivée de la police, pour qu’ils puissent s’expliquer. Tous !
L’attente fut plus ou moins longue. La police arriva sur les lieux, quarante minutes plus tard, et embarqua tout le monde ; enfin ceux qui étaient directement impliqués dans l’affaire, à savoir le voleur et ses poursuivants. Un homme âgé accepta de les suivre, afin de témoigner. Après le départ du convoi, les commentaires commencèrent par fuser de toutes parts. Comme d’habitude !
Moi, je retourne à la maison, soulagé d’avoir d’une part appelé la police, et d’autre part, par l’intervention salvatrice de la population riveraine.
Ce qui allait se passer, sous nos yeux est pourtant monnaie courante dans biens d’autres quartiers de la capitale. La population est hostile aux voleurs. Cela se comprend. Nul n’aimera être troublé dans la jouissance de ses biens. Seulement que cette hostilité pousse systématiquement à l’élimination physique du voleur, cela est un peu exagéré.
Inacceptable mais compréhensible.
C’est la faute aux voleurs eux-mêmes s’ils sont brûlés après leur capture. C’est de leur faute, car ils sont devenus eux-mêmes impitoyables. Dans leur sale besogne, ils n’hésitent plus à faire usage d’armes blanches ou d’armes à feu de fabrication artisanale. Arme c’est arme, et elle tue celui vers qui elle est pointée. Eh oui, les voleurs de la nouvelle génération sont des bandits de grand chemin, qui, après avoir pillé, tuent, violent et sèment désolation. Ils n’ont plus de considération pour la vie humaine, l’essentiel, c’est d’amasser le butin, par tous les moyens. Au lieu de braquer simplement un conducteur de moto, ils l’abattent avant de s’emparer de l’engin ; au lieu de prendre tranquillement le frigo de la cafétéria du coin après avoir neutralisé celle qui y sert, ils la violent, la tuent, avant de tout saccager. Au delà de leur forfait, la population voit une sorte de moquerie, de cynisme, de sadisme, et d’instauration de la terreur. Ce qui est drôle, maintenant, ils prennent la peine de prévenir la future victime, avant de passer à l’acte, quelques soient les précautions prises par cette dernière.
A cela s’ajoute le manque de confiance en la justice togolaise. Oui il existe des magistrats vertueux, oui, il existe des avocats qui travaillent avec l’objection de conscience, oui dans le système judiciaire, il y a des personnes qui disent le droit ; cependant ces personnes constituent l’exception, une poignée noyée dans le lac de la corruption et des dysfonctionnements ! Nous avons la triste impression que les voleurs sont relâché juste après leur incarcération, ou qu’ils ne sont pas suffisamment punis pour leurs actes. Oui cela pourrait se comprendre. Sinon pourquoi le vol est en recrudescence ? Le flagrant délit, dans le Code Pénal Togolais, est incessamment puni, dès l’appréhension du coupable. Et pourtant dans la pratique…suivez mon regard.
Le vol est un acte répréhensible, et doit être sévèrement puni, avec prise en compte de l’élément intentionnel. Et cette punition doit impérativement passer par le prétoire. La formule aux vols et braquages, ne se trouve pas dans « demi litre de super sans plomb+pneu de vélo tout terrain+une allumette made in Ghana »
Je sais, c’est facile de dire d’attendre la police, de livrer le coupable à l’autorité judiciaire, car depuis qu’on m’a dépouillé de mon appareil photo, et de ma clé USB, j’ai presque juré de faire boire à tout voleur, un bol de ciment délayée dans de l’eau. Mais cela arrangera qui ? que chacun prenne ses responsabilités, que le peuple soit tolérant, et que les voleurs soient véritablement punis, comme dans la Série télévisée « Commissariat de Tampy »
J’ai dit !
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