Lorsque je découvre ce qu’est l’esprit de Noël

28 décembre 2012

Lorsque je découvre ce qu’est l’esprit de Noël

Crédit image:Prophetie.centerblog.net

25 Décembre 2012, encore un Noël de plus. N’étant point adepte de l’improvisation, je me suis préparé, dans tous les sens du terme, aux festivités de fin d’année. Les mayas m’ont loupé, le Christ est encore né : Tout cela se fête. Cette année, j’ai décidé de rompre la chaîne de désintérêt légendaire que j’accordais à ces fêtes ! Jadis, j’étais le seul à rester à la maison, vautré dans un canapé à déprimer devant les chaînes locales, ou à me délecter d’un bon roman africain. Je me récréais des ronflements de ma mère qui s’assoupit généralement à côté. Nos chaînes locales sont capables de donner à Jay-z l’envie de se suicider…

Et donc, j’ai décidé de mordre à pleine dents toutes les soirées qui s’offriront du 23 décembre au 04 Janvier. J’ai même mis l’argent de côté pour cela. Éthylisme à haute dose !

Première soirée, première réussite ! Ce 24 était plutôt soft, je n’ai pas été vraiment noctambule, je suis rentré aux alentours de 02h du matin. Le lendemain, j’essayais, après un surhumain effort, de me faire une tasse de Lipton, afin de combattre ce qui tenait ma gueule. Je ne sais plus vraiment, gueule d’argile, gueule de béton ou gueule d’iroko… Quelque chose tambourinait dans mon crâne, et j’avais les narines un peu bouchées. Je devais être seul à la maison, donc j’avais juste une culotte et une chaussette sur moi. Donc j’attendais que l’eau atteigne les 100°, en pensant à la soirée d’enfer que j’aurai encore le soir après la messe, lorsqu’on sonne à la porte. Plusieurs fois la sonnerie retentit, et je dus me résoudre à ouvrir, pour mettre fin au bruit de la sonnerie qui accentuait ma migraine. Pff quel malotru visitais à midi, les jours de fêtes ?

Dès que j’ouvre la porte, un gamin, un de ces gamins de rue, me salua avec révérence. Il n’avait pas l’air d’habiter au quartier car son visage ne me disait absolument rien. Il était si…sale, sinon crasseux ! Il portait une chemise qui, certainement, a connu de glorieuses époques, sa culotte tenait à sa taille grâce à un lacet de godasse, et la fermeture semble n’avoir jamais existé. Ses pieds, trop larges pour son âge, nus, étaient ornés par une sorte de boue séchée. Son visage lui donnait dix printemps. Je répondis à peine à son salamalec, convaincu qu’il s’agissait certainement de l’un de ces petits morveux et voyous qui, refusant toute autorité parentale, se baladent de maison en maison pour jouer aux mendiants. Je renfrogne mon visage sous l’effet de la migraine et de la colère, mais je n’eus pas le temps de lui intimer l’ordre de déguerpir. « Fovi, s’il y a un travail que je peux te faire pour avoir quelque chose à manger, pardon permet moi de le faire », commença-t-il.

Je remarque la différence de son discours, la sincérité de ses paroles, et le désarroi dans le timbre de sa voix. Lui, il ne voulait rien de gratis ; il n’était pas là pour mendier, mais pour faire quelque chose et mériter le repas du jour. Il remarque mon hésitation, puis ajoute rapidement : « je m’appelle Joël, je vis à Agbalépédo ». Ok pour le job, mais que lui donner à faire ? Je n’ai pas de lessive à faire, la vaisselle est déjà étincelante, la cour de la maison était déjà balayée, et il n’y avait aucune saleté devant la maison. Je sentais une irrésistible envie de confier une tâche  à ce môme crasseux, mais il n’y avait rien. Qu’à cela ne tienne ! J’ai de l’eau chaude pour le thé, j’ai trop mal au crâne pour réfléchir alors j’invite Joël à entrer, puis lui demande de m’attendre là, non loin de la porte.

Je reviens quelques minutes plus tard avec une belle tasse de Lipton au citron, et un grand bol de Milo avec du lait. Je lui tends le bol, tandis que je fais mon malin avec ma tasse, puis le conduit à l’arrière cour. Il s’assoit par terre, puis avale avec une rapidité déconcertante le contenu de son bol. Il semblait revenir à la vie. Je lui interdis de laver le bol, parce que vu son état, il risquait de faire le contraire. Je décide alors d’engager une discussion avec lui, comme un DRH le ferait avec un futur stagiaire, on ne sait jamais ! Mais moi je décide de jouer carte sur table. La discussion s’est passée en éwé (langue locale), pardonnez la qualité de l’interprétation :

«-  tes parents sont à la maison et toi tu fais le voyou en te baladant ou bien ?

–          Fovi, je ne suis pas voyou hein, j’essaie juste de vivre !

–          Vivre ? Tes parents sont où et tu veux vivre ?

–          Mes deux parents sont morts ; l’oncle chez qui je vivais aussi est mort en Octobre dernier, et sa famille m’a fait sortir, comme quoi, je porte un esprit malin. Et pourtant, je vais à l’église, mon vrai nom est Kokou, et Joël est mon nom de baptême.

–          Hey, thé je t’ai donné là, faut pas que je meurs aussi hein !!!

–          Grand-frère, vous allez mourir un jour, mais pas aujourd’hui, et pas à cause de moi. Même si j’étais sorcier, à cause de ce thé, je vous épargnerai.

–          C’est comme ça vous dites toujours, dis-je en riant.

–          Moi je n’ai rien, Fovi ! Je veux juste faire de petits jobs pour manger, et retourner à l’école un jour.

–          Tu fais quelle classe ?

–          J’étais au CE2 (Cours Elémentaire 2ième année) lorsque mes parents sont morts. Chez mon oncle j’ai refait le CE2. J’ai commencé le CM1 mais on m’a renvoyé pour l’écolage, et pour mon hygiène. Portant je suis intelligent hein. Fovi je te jure, je sais très bien lire. Je fais très bien étude de texte et dictée. Calcul rapide aussi, problème là…

–          Ok j’ai compris ! Donc à part ton oncle, il n’y a personne dans ta famille ?

–          J’ai encore trois oncles et une tante mais ils ont peur de moi. Comme la femme de mon oncle a dit que je suis un enfant sorcier, ils ont tous peur.

–          Et tu dors où, tu fais comment ?

–          Je dors souvent à Agbalépédo, dans la station. Sur les bancs des passagers là, c’est là-bas je dors. Mais ca dépend, si je me balade trop et je suis trop loin, je me débrouille. Mais souvent, c’est à la station. Bon, moi je demande de l’aide, mais je préfère faire un travail quoi ; comme ça au moins, on peut te rappeler s’il y a encore quelque chose. Certains me laissent leur laver la voiture, balayer la cour, laver les douches ; certains me donnent juste l’argent et ne me laissent pas entrer. Ça ne me plaît pas mais j’ai besoin d’argent. Il faut que je retourne à l’école, quoi ! Mon père aidait dans un service (coursier, je pari), et lui, il me supplie de travailler  à l’école, et de tout faire pour connaitre papier, comme ça, on ne m’embêtera pas, et je serai à l’aise ; donc je dois retourner à l’école. Ma mère elle aussi disait que l’école, c’est bon ; elle était enceinte lorsqu’ils ont eu l’accident, donc je suis le seul enfant de mes parents. Fovi, une fois je suis allé dans un centre d’aide. Mais, c’est comme c’est pas un orphelinat, c’est pour les enfants voyous, ou ceux qui ont déjà fait la prison ; moi je suis pas voyou, j’ai juste perdu mes parents. Et puis, dans les centres là, on va pas à l’école, on apprend juste un métier, et c’est tout. Moi je ne veux pas ça ; je veux aller à l’école, et connaitre papier. Fovi, tu peux encore me donner un peu de thé ? »

J’étais là, calme, à l’écouter, assaillit par des interrogations à décupler ma migraine. Pourquoi cela lui arrive-t-il ? Pourquoi pense-t-on qu’il est un gosse maudit, avec le diable au corps ? Pourquoi n’accepte-t-il pas sa condition ? Pourquoi s’accroche-t-il au rêve de ses parents ? Pourquoi veut-il vaille que vaille aller à l’école ? Pourquoi ne fête-il pas Noël, lui ? Pourquoi vient-il un jour de fête ? Et pourquoi c’est à ma porte qu’il cogne ? Pourquoi étais-je seul à la maison ? Pourquoi fallait-t-il qu’il touche ma sensibilité, en ce jour ? Pourquoi me parle t-il de ses difficultés, alors que le peu d’argent que j’ai devrais me servir pour toute mon aventure éthylique de la fin d’année ? Maudit Joël ! Et s’il avait vraiment tué ses parents avec son esprit gbass là ?

« Bon, Joël, moi je n’ai pas de travail à te confier là tout de suite, je n’ai pas d’argent à te donner non plus (ah, il faut quand même être prudent, chers lecteurs) ; là où tu es là, ne bouge pas ; je vais t’apporter de l’eau pour ta douche ok ? Comme tu as faim, après la douche, on va manger du riz de la veille. Après, j’ai un ami qui travaille dans le domaine de l’orphelinat. Je l’appelle, et tu partiras avec lui d’accord ? J’arrive avec l’eau »

« Fovi, je vais me doucher, je vais manger le riz mais n’appelle pas ton ami. Je ne veux pas apprendre un métier, moi c’est l’école je veux faire. Les gens des orphelinats ne sont pas sérieux, je ne veux pas être menuiser ou forgeron, je veux aller à l’école »

Je sentis dans son regard une certaine peur et une dose d’aversion pour les orphelinats. Il me fallut une demi-heure pour le persuader d’accepter que mon ami vienne l’aider. J’ignore pourquoi je me sentis si concerné par Joël, ni pourquoi il tenait tant à sa fierté. Lui, un simple gosse de 12 ans. Il prend la douche, là, dehors, je lui remets quelque fringues de mon plus jeune frère, ce qui le plonge dans une joie indescriptible. Après avoir mangé le riz avec appétit, (toute nourriture qui date de la veille, j’adore), je l’installe à la terrasse, en attendant Abdel, mon ami KOREKONDE Abdel, qui promit passer vers quatorze heures.

Joël fut tout de suite séduit par la gentillesse d’Abdel, et il me remercia énormément, avant de partir. Sur le seuil de la porte, je lui tends un billet de 1.000 FCFA et ma carte de visite avant d’ajouter : « Joël, si on te t’inscris pas dans une école, là-bas, appelle-moi. Je n’ai pas grand-chose, mais je peux quand même t’inscrire dans une école primaire à 10.000 FCFA l’an, je te le promets ».  Il avait les larmes aux yeux lorsqu’il me remerciait. Dans un sourire, je lui pose une dernière question : « au fait, tu tiens tant à fréquenter, que veux tu être, quand tu seras grand ? ». Il essuie rapidement la larme qui perle de son œil gauche avant de répondre : « Je veux juste être vivant » !

C’était au tour de mon œil droit de s’emplir de larmes. Sacré Joël, fidèle Abdel, à vous deux, joyeux Noël !

J’ai dit.

Aphtal Cisse

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Commentaires

Babeth
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Il devient koi Joël?

DOUMBIA Yacouba
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Mon frère, tu sais les mots me manquent pour les compliments en ton endroit...Je te souhaite juste bon vent! C'est toujours un plaisir de te lire bien que je sois trop en retard par rapport aux dates de publication de beaucoup de tes articles.

Aphtal CISSE
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Merci, cher lecteur! J'espère vous fidéliser...

KABA Madigbè
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Aphtal, ça c'est très fort. Comme tu l'as dit "sacré Joel", t'as agi en bon philosophe envers lui et voilà résolue de ton coté ta question sur l'humanisme. Une fois encore, très bon billet.

Aphtal CISSE
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Hmmmm, j'avoue que je ne l'avais pas vu sous l'angle de l'humanisme, Madigbè. Merci de l'avoir surligné, et merci pour tes passages et interventions. Bonne et heureuse année, mon frère

KABA Madigbè
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Je t'en prie Aphtal, bonne et heureuse année 2013.

Mouinat
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Hum pauvre petit.il ne demande qu'à vivre.perdre ses parents est la pire chose qui puisse arriver à un enfant.tu as fais ce qu'il fallait

Aphtal CISSE
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Merci Mouinat. Bonne et heureuse année à toi, à Dakar. Bisous

Ismo Daro
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Cisse je crois que ta vrèmant fait ce qu'il fallait pour ce petit, je te dis que face à ces genres de situations on ne peut pas s'en passer. Ce petit veut vraiment vivre et rien de plus. C'est très cool mon frère...Je t'encourage à aller plus loin que ça.

Aphtal CISSE
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Merci, frérot! Je compte aller le voir à son orphelinat, après les fêtes. Tu n'as pas tord! Quand on a jamais fait face à ce genre de choses, on se moque des gosses de rue
Merci d'être passé, man

RitaFlower
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Toi,je t'appelle sur ton portable pour te souhaiter un JOYEUX NOEL.Tu me raccroches carrément au nez.Que veux-tu que je te dise maintenant,hein.Tant mieux pour toi,si tu as découvert en ces fetes de fin d'années l'ESPRIT de NOEL.Tu es plus à l'aise par écrit que verbalement,on dirait.Tu as au moins accompli une bonne action pour ce jeune garçon qui en avait besoin.Je crois que c'est ce qu'on appelle l'esprit de Noel,aujourd'ui.

Aphtal CISSE
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Ooooh, Rita, c'était pas de ma faute hein, walaye, c'est le réseau qui faisait les siennes! En plus, hey, je suis à l'aise aussi verbalement hein, j'étais au bureau, et mon boss me regardais depuis sa baie vitrée quoi, je voulais pas trop me mettre à l'aise c'est pour cela. T'inquiète, pour Nouvel an, c'est moi qui t'appelle, et tu reviendras dire ici si je suis timide ou pas hein. Merci grande soeur. Bisous

keitamamady
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Tu nous émerveille tous les jours avec ta plume qui il faut le dire sort du commun.Bon vent à toi cher ami

Aphtal CISSE
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Merci, cher ami. C'est gentil de ta part, merci de passer de temps à autre par ici