Et si on remettait les pendules à l’heure?
Il existe tout un tas de bouquins, toute une panoplie de traités, de discours qui répètent la même chose : L’Afrique est en retard ; l’Afrique est en retard.
Et quand tu essaies de demander : « en retard par rapport à quoi ou qui ? » On te répond, toi aussi joue pas à l’aveugle. L’Afrique n’a même pas amorcé son décollage ; elle n’est même pas encore sur la piste. Mon continent chéri est alors comparé à un Airbus, plein de kérosène, mais qui n’a jamais pris les airs. Il lui arrive de se déplacer sur le tarmac, de faire un tour de piste, mais ce charmant Airbus ne s’est jamais engagé véritablement à décoller. Soit ! Jouons au jeu. Je me suis dis que l’Airbus auquel est comparé l’Afrique n’a pas de pilote digne de ce nom. Très souvent, ce sont de petits parachutistes, ou mieux, quelques rares gens qui, jusque là, n’ont piloté que des bimoteurs… Vous ne comprenez toujours pas ? Voilà ! Je passais mon temps à accuser les dirigeants africains qui, amateurs et sans visions pour la plupart, retardent le décollage de mon continent. Ça, c’était jusqu’à hier.
Hier soir, en discutant avec ma mère, sur l’organisation des funérailles de mon grand-père (c’est dans une semaine), nous sommes arrivés à faire des blagues, puis maman lance une boutade, en vernaculaire, littéralement traduite ainsi : « Ce qui sert à effectuer la circoncision du cheval, se trouve dans le ventre du cheval lui-même ». J’en ai ri, la discussion a finalement pris fin, puis je regagne ma chambre. Vous me connaissez, j’ai toujours cette vilaine habitude d’accuser quelqu’un, de faire porter la croix à quelqu’un, de prendre quelqu’un pour responsable. Je me livre à ce funeste exercice, en ce qui concerne le retard supposé de l’Afrique, et ce que j’ai découvert m’a glacé le dos.
En fait, ce n’est pas un ou des responsables, que j’ai dévisagé, mais tout un vaste réseau, innocemment embarqué dans ce large complot visant à déstabiliser notre économie, à saper pour de bon le décollage du continent noir, et à réduire à néant les chances d’admirer cet Airbus planer fièrement dans les airs. Ce que j’ai compris, grâce à cet adage de ma mère, c’est que ce n’est pas l’Afrique qui est en retard, mais ce sont les Africains qui le sont. Tous les africains, tous les nègres, de l’infirmier au médecin chef, de la nouvelle recrue au Général, du commis d’administration au Président de la République, du Cap au Caire, de la Gambie au Somaliland. Tous, africains que nous sommes, en nos grades et niveaux respectifs, sommes toujours en retard.
Impossible de donner rendez-vous à un nègre et le voir à l’heure. Jamais ! Il a toujours une demi-heure de retard, et même plus. Il arrive enfin, avec un large sourire stupide sur son visage d’imbécile heureux, et il tente de s’expliquer. Nous avons tous cette culture du retard, nous vouons tous un culte à la pendule retardée, nous adorons le temps, en courant après lui.
Il vous suffit de nous inviter à une fête à 15h GMT. D’abord nous sommes convaincus que l’organisateur ne sera pas dans le timing. C’est à 15h30 que nous finissons notre sieste ; c’est maintenant qu’on va chercher à repasser la tenue que nous porterons ; nous irons ensuite à la douche, passerons une couche de cirage sur nos chaussures, puis nous nous parfumerons. A 17h14mn, nous sortons notre téléphone pour appeler un invité déjà sur les lieux, histoire de prendre la température de la fête, avant de nous mettre en route. Même pour aller manger gratis chez quelqu’un on fait le malin.
On organise un concert censé débuter à 18h, nous c’est à 21h on vient chercher notre ticket.
Un professeur d’université s’offre toujours une dizaine ou une quinzaine de minutes de retard, avant de débuter son cours, et on s’étonne de ne pas terminer le programme du semestre. Un colloque, ou un séminaire, ne débute jamais à l’heure indiquée sur le faire-part. Un ministre qui t’accorde une audience n’estime pas nécessaire d’être à l’heure. Le Président de la République même, censé inaugurer solennellement un évènement, ou désirant rencontrer ses partisans à une heure précise, s’offre le plaisir de faire poireauter tout le monde durant une heure avant d’arriver enfin. Et on s’étonne d’être le continent le moins avancé ?
En 2010, je m’étais inscrit à un atelier d’écriture, organisé par Mme Béatrice Pierru-Paquis, une française. J’étais dans le deuxième groupe, celui du soir, censé débuter à 17h30 GMT. Moi je vis à Agoè, et l’atelier se tient au Goethe Institut, qui se trouve au Grand Marché de Lomé, c’est-à-dire à pas moins de quarante minutes en taxi. A 17h15, je sortais à peine de la douche. Le temps de m’apprêter et me rendre au bord de la route pour un taxi, il était déjà 17h30. J’arrive à l’Institut Goethe à 18h12, et Mme Béatrice avait déjà terminé le premier module de son enseignement. Sans blagues : Et je n’avais pas le droit de poser des questions (sur ce qui est déjà fait), ni perturber les autres participants à cet effet. A 19h30 précises, elle mit fin à la séance, puis nous dis à la prochaine. Plus de questions de notre part, plus d’explication de la sienne. L’heure c’est l’heure. Eh oui.
Lors de mon dernier séjour en banlieue parisienne (encore un de mes nombreux voyages astraux), j’ai pu réaliser à quel point l’heure était capitale dans leur vie, et comment les habitants de M’bengê en ont fait un sérieux outil de développement. A ma sortie de l’aéroport, j’ai passé un peu trop de temps à admirer les lumières, les décorations, les rues, tout. Je ne sais par quel miracle je n’ai pas eu de torticolis, tellement mon front était haut, au point où ma nuque touchait mon omoplate gauche. Sérieux. A cause de cela, j’ai raté mon train qui devait m’emmener rencontrer mon guide. Même à la gare là, l’heure là, c’est comme ordinateur. Quand ça sonne pile, le train démarre, que tu sois dedans ou pas. Je ne vais pas vous raconter comment j’ai fait pour appeler mon correspondant là jusqu’à le retrouver. Humm allez écouter Magic System.
(inserer vidéo à ce niveau :un gaou à Paris).
Avec ça, comment ne pas devancer l’évolution ? Comment ne pas dépasser les autres peuples qui s’amusent avec le Greenweech Meridian Time ?
Alain Foka, lors d’une émission enregistrée sur le campus de Lomé, s’amusait à rappeler l’heure du rendez-vous en disant : « 11h GMT, pas 11h CFA hein ». Comme quoi, il ne nous appartient pas de refaire les fuseaux horaires.
Camarades, l’Africain n’est pas paresseux, loin de là. Nous sommes un peuple travailleur, sérieux à volonté, ambitieux et vaillants. Il nous reste juste un peu de rigueur envers nous-mêmes, un peu plus de responsabilité, afin que l’Afrique, ou l’Africain ne manque plus le rendez-vous des grandes puissances, et que ce magnifique Airbus plane jusqu’à la stratosphère s’il le faut.
Le monde n’appartient-il pas à ceux qui se lèvent tôt ? Allez comprendre pourquoi les blancs ne dorment même plus.
J’ai dit.
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