Et si on remettait les pendules à l’heure?

Article : Et si on remettait les pendules à l’heure?
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5 janvier 2013

Et si on remettait les pendules à l’heure?

Full Time (Image: MorgeFile)

Il existe tout un tas de bouquins, toute une panoplie de traités, de discours qui répètent la même chose : L’Afrique est en retard ; l’Afrique est en retard.

Et quand tu essaies de demander : « en retard par rapport à quoi ou qui ? » On te répond, toi aussi joue pas à l’aveugle. L’Afrique n’a même pas amorcé son décollage ; elle n’est même pas encore sur la piste. Mon continent chéri est alors comparé à un Airbus, plein de kérosène, mais qui n’a jamais pris les airs. Il lui arrive de se déplacer sur le tarmac, de faire un tour de piste, mais ce charmant Airbus ne s’est jamais engagé véritablement à décoller. Soit ! Jouons au jeu. Je me suis dis que l’Airbus auquel est comparé l’Afrique n’a pas de pilote digne de ce nom. Très souvent, ce sont de petits parachutistes, ou mieux, quelques rares gens qui, jusque là, n’ont piloté que des bimoteurs… Vous ne comprenez toujours pas ? Voilà ! Je passais mon temps à accuser les dirigeants africains qui, amateurs et sans visions pour la plupart, retardent le décollage de mon continent. Ça, c’était jusqu’à hier.

Hier soir, en discutant avec ma mère, sur l’organisation des funérailles de mon grand-père (c’est dans une semaine), nous sommes arrivés à faire des blagues, puis maman lance une boutade, en vernaculaire, littéralement traduite ainsi : « Ce qui sert à effectuer la circoncision du cheval, se trouve dans le ventre du cheval lui-même ». J’en ai ri, la discussion a finalement pris fin, puis je regagne ma chambre. Vous me connaissez, j’ai toujours cette vilaine habitude d’accuser quelqu’un, de faire porter la croix à quelqu’un, de prendre quelqu’un pour responsable. Je me livre à ce funeste exercice, en ce qui concerne le retard supposé de l’Afrique, et ce que j’ai découvert m’a glacé le dos.

En fait, ce n’est pas un ou des responsables, que j’ai dévisagé, mais tout un vaste réseau, innocemment embarqué dans ce large complot visant à déstabiliser notre économie, à saper pour de bon le décollage du continent noir, et à réduire à néant les chances d’admirer cet Airbus planer fièrement dans les airs. Ce que j’ai compris, grâce à cet adage de ma mère, c’est que ce n’est pas l’Afrique qui est en retard, mais ce sont les Africains qui le sont. Tous les africains, tous les nègres, de l’infirmier au médecin chef, de la nouvelle recrue au Général, du commis d’administration au Président de la République, du Cap au Caire, de la Gambie au Somaliland. Tous, africains que nous sommes, en nos grades et niveaux respectifs, sommes toujours en retard.

Impossible de donner rendez-vous à un nègre et le voir à l’heure. Jamais ! Il a toujours une demi-heure de retard, et même plus. Il arrive enfin, avec un large sourire stupide sur son visage d’imbécile heureux, et il tente de s’expliquer. Nous avons tous cette culture du retard, nous vouons tous un culte à la pendule retardée, nous adorons le temps, en courant après lui.

Il vous suffit de nous inviter à une fête à 15h GMT. D’abord nous sommes convaincus que l’organisateur ne sera pas dans le timing. C’est à 15h30 que nous finissons notre sieste ; c’est maintenant qu’on va chercher à repasser la tenue que nous porterons ; nous irons ensuite à la douche, passerons une couche de cirage sur nos chaussures, puis nous nous parfumerons. A 17h14mn, nous sortons notre téléphone pour appeler un invité déjà sur les lieux, histoire de prendre la température de la fête, avant de nous mettre en route. Même pour aller manger gratis chez quelqu’un on fait le malin.

On organise un concert censé débuter à 18h, nous c’est à 21h on vient chercher notre ticket.

Un professeur d’université s’offre toujours une dizaine ou une quinzaine de minutes de retard, avant de débuter son cours, et on s’étonne de ne pas terminer le programme du semestre. Un colloque, ou un séminaire, ne débute jamais à l’heure indiquée sur le faire-part. Un ministre qui t’accorde une audience n’estime pas nécessaire d’être à l’heure. Le Président de la République même, censé inaugurer solennellement un évènement, ou désirant rencontrer ses partisans à une heure précise, s’offre le plaisir de faire poireauter tout le monde durant une heure avant d’arriver enfin. Et on s’étonne d’être le continent le moins avancé ?

En 2010, je m’étais inscrit à un atelier d’écriture, organisé par Mme Béatrice Pierru-Paquis, une française. J’étais dans le deuxième groupe, celui du soir, censé débuter à 17h30 GMT. Moi je vis à Agoè, et l’atelier se tient au Goethe Institut, qui se trouve au Grand Marché de Lomé, c’est-à-dire à pas moins de quarante minutes en taxi. A 17h15, je sortais à peine de la douche. Le temps de m’apprêter et me rendre au bord de la route pour un taxi, il était déjà 17h30. J’arrive à l’Institut Goethe à 18h12, et Mme Béatrice avait déjà terminé le premier module de son enseignement. Sans blagues : Et je n’avais pas le droit de poser des questions (sur ce qui est déjà fait), ni perturber les autres participants à cet effet. A 19h30 précises, elle mit fin à la séance, puis nous dis à la prochaine. Plus de questions de notre part, plus d’explication de la sienne. L’heure c’est l’heure. Eh oui.

 

Lors de mon dernier séjour en banlieue parisienne (encore un de mes nombreux voyages astraux), j’ai pu réaliser à quel point l’heure était capitale dans leur vie, et comment les habitants de M’bengê en ont fait un sérieux outil de développement. A ma sortie de l’aéroport, j’ai passé un peu trop de temps à admirer les lumières, les décorations, les rues, tout. Je ne sais par quel miracle je n’ai pas eu de torticolis, tellement mon front était haut, au point où ma nuque touchait mon omoplate gauche. Sérieux. A cause de cela, j’ai raté mon train qui devait m’emmener rencontrer mon guide. Même à la gare là, l’heure là, c’est comme ordinateur. Quand ça sonne pile, le train démarre, que tu sois dedans ou pas. Je ne vais pas vous raconter comment j’ai fait pour appeler mon correspondant là jusqu’à le retrouver. Humm allez écouter Magic System.

(inserer vidéo à ce niveau :un gaou à Paris).

Avec ça, comment ne pas devancer l’évolution ? Comment ne pas dépasser les autres peuples qui s’amusent avec le Greenweech Meridian Time ?

Alain Foka, lors d’une émission enregistrée sur le campus de Lomé, s’amusait à rappeler l’heure du rendez-vous en disant : « 11h GMT, pas 11h CFA hein ». Comme quoi, il ne nous appartient pas de refaire les fuseaux horaires.

Camarades, l’Africain n’est pas paresseux, loin de là. Nous sommes un peuple travailleur, sérieux à volonté, ambitieux et vaillants. Il nous reste juste un peu de rigueur envers nous-mêmes, un peu plus de responsabilité, afin que l’Afrique, ou l’Africain ne manque plus le rendez-vous des grandes puissances, et que ce magnifique Airbus plane jusqu’à la stratosphère s’il le faut.

Le monde n’appartient-il pas à ceux qui se lèvent tôt ? Allez comprendre pourquoi les blancs ne dorment même plus.

J’ai dit.

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Commentaires

keitamamady
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Si on pouvait prendre conscience de la gravité de ces petits trucs que nous ne considéreront pas;mais qui nous bloque,et qui hypothétique notre décollage sur tout les plans,je pense que rien ne pourra arrêter l’Airbus Africain comme tu le dis si bien.Très bel article.

Aphtal CISSE
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Merci Serge. Merci à toi...

serge
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très très belle reflexion, grande inspiration. félicitation pour ce beau texte et surtout la conscience de nos problèmes continentaux. merci aussi pour nous faire partager la sagesse de ta maman...

Ameth DIA
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Que dire de plu sinon que tu as parfaitement raison. Tu as pointé du doigt là où çà fait mal. Il suffit juste de faire le constat dans nos administrations où beaucoup se permettent de venir à l'heure qui leur convient. Et pourtant quand c'est l'heure de la descente, il n'y a plus personne... Allez y comprendre quelque chose ;-)

Aphtal CISSE
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Merci, grand-frère Sia. C'est un plaisir de te lire par ici.

KABA Madigbè
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Hum... camarade Aphtal, tu touches là le vrai blem du doigt: "L'Africain et l'heure". C'est un exercice qu'il va falloir que l'on s'habitue. "Time is not money in Africa but we (Africans) must change to respect time for our well-being". J'ai bcp aimé que ta mère t'ait inspiré. Bonne semaine Aphtal

Aphtal CISSE
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Eh oui, mon frère, il va falloir renégocier notre partenariat avec les fuseaux horaires. Ah pour ma mère, elle fait partie du cercle fermé des plus belles femmes qui m'inspirent.. Paix à toi, frèrot

KABA Madigbè
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Paix à toi aussi!

Mouinat
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C'est vrai ça.les africains ne sont jamais à l'heure.et c'est la triste réalité qui fait que nous en sommes encore là

Aphtal CISSE
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Ah toi même tu es consciente que tu n'es jamais à l'heure non, Mouinat? Tu me plantes toujours sur Skype haha.

KABA Madigbè
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Ah ça alors! Mouinat, tu ne dois plus planter Aphtal sur Skype hein.

Aphtal CISSE
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Ah oui oui, Kaba, dis le-lui bien même. Mdr

Faty Kane
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Bel article Aphtal ! Cette notion très élastique du temps qui fait que tout peut être remis au lendemain c'est ce qui, hélas, nous retient encore sur le tarmac... de la pauvreté!

Aphtal CISSE
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Aaaah, grande soeur Faty, c'est un plaisir pour moi de te lire par ici... J'aime bien ton expression: Notion très élastique" vraiment. Merci à toi. Bisous
Aphtal

RitaFlower
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C'est tout à fait juste l'africain n'a pas cette CULTURE de la PONCTUALITE,ce qui est un frein au DEVELOPPEMENT de l'AFRIQUE.Le manque de rigueur,l'assiduité et la régularité dans le travail sont aussi à améliorer.Ce n'est pas facile de CHANGER les MENTALITES et les HABITUDES des uns et des autres depuis toujours.L'homme noir aime les SOLUTIONS de FACILITES,les CADEAUX,les HONNEURS et la RECONNAISSANCE pour se mettre au SERVICE de son PAYS.La DIVISION n'arrange pas nos affaires non plus.Les IVOIRIENS disent:"bengué".Euh Aphtal,tu es écrivain-poète mais tes lecteurs et tes lectrices ne te connaissent que sous une seule casquette, celle de BLOGUEUR.

Aphtal CISSE
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Grande soeur Rita, pour ma casquette d'écrivain-poète là, incha allah c'est véritablement cette année qu'elle se révèlera. J'y travaille et je crois que ca va donner quelque chose. Merci beaucoup à toi

Faty
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et tu as bien parlé mon frère...

Aphtal CISSE
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Merci d'avoir lu, grande soeur