A tous ceux qui meurent en Silence…

Zacharie, c’est son prénom. C’était une connaissance, un camarade, peut-être un ami. Notre rencontre fut l’une des plus fortuites, et, ma foi, la plus bizarre.
J’étais en consultation ophtalmologique au Centre Hospitalier Universitaire du Campus de Lomé, attendant mon tour, lorsque ce jeune homme, à la démarche hésitante, au physique pas très engageant, fait son entrée. Les bancs d’attente étaient tous occupés, alors il se tient debout, contre le mur. Je ne lui accorde aucun intérêt, et me concentre sur mon mal à moi. Après une dizaine de minutes, il semblait ne plus tenir sur ses deux pieds. J’ai eu envie de lui céder ma place, mais la dame assise à mes côtés me devance. Le jeune homme (quand même plus âgé que moi) s’assoit alors à ma gauche. J’étais dérangé, à cause de ses vêtements pas bien entretenus (ce n’est pas de l’exclusion mais…) mais aussi et surtout à cause de sa quinte de toux grasse. Allergique moi-même à cause de mon asthme, je déteste toute situation pouvant m’exposer à toute contamination. J’avais envie de prendre de l’air, mais j’étais sûr que cela aurait été mal perçu par les autres patients.
J’étais le numéro 15 de la liste d’attente, lui tenait le 19. Au moment où j’apprête mon carnet, et mon reçu, l’une des assistantes sort puis adresse un bonjour sympathique au jeune homme :
« Hé, drépano, tu as quoi encore? Tu fais quoi ici ?
– Mes yeux ne laissent pas tranquille la, grande-sœur.
– Oh, on va voir ça ok ? Tu as tes papiers d’assurances non ?
– Oui ! Je suis déjà fatigué, quoi ! J’ai froid, j’ai envie de rentrer.
– Patiente ! Le numéro 19 va passer tout de suite d’accord ? A plus »
Puis l’assistante s’éloigne. Il était donc drépanocytaire, selon le sobriquet par lequel il vient d’être désigné. Lorsque vint mon tour, sans trop savoir pourquoi, je lui remets mon numéro, puis prends le sien, lui permettant ainsi de passer avant moi. Il ne me remercie même pas, et se dirige difficilement vers la salle de consultation.
Lorsque je fini de me faire tripoter les yeux par le toubib, j’avais déjà oublié Zacharie, le jeune homme de tout à l’heure. Mais lui, m’attendait près du parking, et me héla lorsque j’arrive à sa hauteur. Il se met à me remercier, et à parler de certains trucs ; moi je voulais m’en aller le plus vite possible. Il me dit qu’il me trouve sympa, gentil et qu’il aimerait qu’on soit camarades. Qu’à cela ne tienne ! On s’échange nos numéros de téléphone, je l’aide à atteindre la sortie (il avait une véritable difficulté à se déplacer). On se sépare comme cela, sans grande conviction.
Il fut le premier à m’écrire. Au fil des échanges, je découvre un jeune homme brillant, cultivé, joyeux, désirant vivre pleinement la vie. Il ne pouvait, et ne voulait pas venir chez moi, à cause de son handicap, et de sa toux. Je me suis efforcé de me rendre chez lui, deux ou trois fois, lors de mes heures creuses, le week-end. Je ne me suis jamais ennuyé en sa compagnie, tellement il était cultivé, et enclin à la lecture. Tout ce qu’il savait cependant de Mondoblog, c’était le bref passage de Ziad dans Couleurs Tropicales, chaque Lundi. Il s’informait, lisait, se soignait, se battait, et se donnait.
Selon ses dires, ses parents sont tous drépanocytaires, et sa mère en mourut, il y a trois ans. Son père, n’était pas vraiment présent, alors il devait se débrouiller, et ne devait sa survie qu’aux bons soins d’une cousine maternelle. Le samedi 02 février dernier, j’étais chez lui, avec une console de Play Station III. Nous en avons joué, surtout au foot et à God Of War. Il se débrouillait pas mal, et apprenait très vite.
C’était notre dernière rencontre ! Hier dimanche, tard le soir, la généreuse cousine de Zacharie m’appelle, et m’annonce la mort de mon camarade. Il est mort la nuit de Vendredi à samedi, après une courte et douloureuse crise. J’étais si étonné que j’ai oublié que la chose qui se faisait en pareille circonstance, était de consoler le membre de la famille qui vous informe. Je me souviens de l’un des tout derniers messages de Zach : « Frérot, oublie ça. Tu as la tête, tu as la forme, tu as la santé, et tu es généreux. Avec tout ça, tu n’as rien à craindre. Pour l’inauguration là, je ne veux pas mettre mal à l’aise tes clients, mais si Dieu nous prête vie, je serai là, à l’écart, pour admirer ton succès. Tu fais quoi là ? »
Par expérience et par principe, je me méfie toujours de tout, et de tout le monde, me donnant assez de temps pour connaître l’autre, avant de me laisser aller. Mais, je ne me savais pas capable de m’attacher si rapidement à autrui. Oui, je pense toujours à Zacharie, à sa maladie, à son sursis, à son envie de vivre, à son amitié, et aujourd’hui, à tous ceux qui souffre de drépanocytose à travers le monde.
J’ignore si je serai présent à la messe d’enterrement ! Excuses-moi, Zach, tu m’as interdit de m’apitoyer sur ton sort ; je n’ai aucune envie de pleurer devant ton cercueil, alors, vas, et que la terre te soit légère.
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J’ai dit.
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