Bakhary Potter! Arrêtons le massacre
Janvier dernier, j’étais au village de ma mère, pour les funérailles de mon grand-père. C’est une petite localité, située à un peu plus de 145 km de Lomé. Elle est à environ 60km de la ville touristique de Kpalimé, et donc située dans la région des plateaux. C’est un village calme, chaleureux, accueillant, et reposant. Il est traversé par une petite rivière, qui justement passe exactement sous la fenêtre de feue ma grand-mère Béatrice, morte, elle depuis 1997. Le soir, la chorale des cigales égayait nos tympans, et la fraîcheur qui s’abattait sur le village, nous fait oublier pour quelques jours, le quotidien stressant de la capitale.
D’ailleurs voici quelques images du village…
Pourtant, Kpélé-bémé (puisque c’est de ce village dont on parle), n’a rien d’une carte postale. Ne vous y trompez guère. En s’y rendant, le repère qui annonce l’arrivée, est un cimetière, à l’orée du village, rafraichi par l’abondant feuillage d’un immense manguier. Quelques mètres plus loin, c’est le pont qui surplombe la rivière sus-citée, puis la bâtisse de l’église presbytérienne, l’un des rares édifices en ciment, à la façade moderne. Oui, le village compte deux débits de boissons, et c’est tout.
Je discutais avec mon Oncle William, sur l’état et l’aspect du village, en lui servant un discours plutôt accusateur, ciblant les intellectuels de la localité. Je leur reprochais principalement d’être de mauvais acteurs de développement de la nation ; je leur reprochai d’être inutile au village, d’avoir déserté la région pour s’agglutiner en ville ; je leur reprochai leurs investissements qui auraient été bénéfiques et salutaire au village qu’ailleurs. Il sourit, me regarda, termina son petit verre de Sodabi, puis me dit :
« Vas te reposer, nous avons du boulot. Demain après l’enterrement, et les salutations, reviens me voir. Je te ferai visiter le village. Allez, file ».
Adepte du Silence, je ne dis mot, puis regagne mes quartiers. D’habitude, j’occupe la chambre de grand-mère, avec d’autres cousins, ce qui vaut de sérieux reproches à ma mère, de ma part. C’est vrai quoi, elle pouvait aussi construire une petite pièce dans la cour non ? Pourquoi toujours s’entasser dans une vieille chambre avec les autres cousins ?
Samedi, mise sous terre de mon grand-père Gustave.
Lorsque j’arrive enfin à la maison, vous savez, on doit restaurer les invités. Ce qui fut fait. Oncle William, allons visiter Bémé. Le village n’était pas vraiment grand, alors, une heure de temps à suffit pour faire son tour. Mon oncle, Chef Laboratoire à l’hôpital de Sokodé, se sentait visé par mes critiques, et tenait à ce que certaines équivoques soient levées. Ce qu’il me dit, je le résume ainsi :
« Petit, personne n’est fier de revenir voir le village dans cet état. Mais c’est mieux ainsi. Tu sais, nous autres, sommes trop petits pour révolutionner quoi que ce soit. Ce village a eu des natifs qui furent premier ministre, ministres, députés, médecins, et qui occupèrent de bons postes décisionnels. Tu crois qu’ils n’ont jamais essayé de changer l’aspect du village ? Regarde cette maison par exemple, elle appartenait à un architecte. L’autre au fond, non crépie là, c’est un médecin qui le construisait. Là, c’est à un professeur d’université ; là, c’est à une dame, revendeuse au grand-marché de Lomé ; tu vois celle qui a les tuiles sur le côté-là, c’est à un ingénieur agronome, vivant jadis en Russie. Regarde, quelqu’un a même tenté une maison à étage…. »
J’avoue que c’est la première fois que je découvre ainsi Bémé. Mais chose étrange, toutes les maisons, je dis bien toutes les maisons que mon oncle m’a fait visiter, avaient une chose en commun : c’est d’être inachevée. Toute maison construite avec du ciment, demeure à l’état de chantier, c’est-à-dire, jamais terminée. Il y en a qui s’arrêtent à la fondation, d’autres ont des mûrs qui arrivent au moins au niveau de la fenêtre ; et pour les plus chanceux, les mûrs s’arrêtent au niveau du chaînage. Ce que mon Oncle m’a donné comme raisons à cet état des choses, m’a glacé le sang. Tous ceux qui commençaient à construire au village mourraient d’une façon étrange : accident de circulation, courte maladie, fièvre, maux de ventre, suicide, et autres. Sans blagues.
Tu veux avoir une maison de campagne, ils t’offrent une place sous le manguier du cimetière. C’était quasi systématique. Les rares personnes qui arrivent à avoir une maison totalement construite sont celles là qui ne sont pas originaire de la localité, et qui ne s’y sont pas mariées. C’est la triste vérité. J’ai honte de le dire, mais il y a des gens au village qui mangent les âmes des gens, et qui naviguent à contre courant de la civilisation. Je sais pas comment ça se passe chez vous mais, à Bémé, en ce 21ième siècle, les gens meurent pour s’y être rendus en joli véhicule 4×4, pour avoir apporté un sac de riz parfumé, pour avoir acheté un paquet de ciment, pour avoir démoli la vieille case de grand-père et tenté de la reconstruire en plus grand. Et après les funérailles, gare à qui voudra profiter du calme retrouvé, avant de regagner la ville. S’il n’est pas mordu par un serpent, on le retrouve froid dans son lit, au lever du soleil.
Demandez-moi pourquoi, malgré mon amour et mon respect pour Vieux Gustave, je regagne Lomé, le soir même de l’enterrement. En rentrant de la tournée avec mon oncle William, il salue un vieux, qui me serre également la main, et me demande si c’est moi le fils d’Olivia. Euh oui, répondis-je, hésitant.
« Ah, tu dois être Afoutali (vieux con, on dit Aphtal), le premier gosse qu’Olivia a fait chez les cotocoli non ? C’est pas toi qui fais les études que font les avocats là ? J’ai appris que tu as terminé au campus, ou bien ? Ah tu as bien grandi hein ! Désolé pour ton grand-père, petit. Il était vieux mais, il aurait pu boire la bouillie dans ton salaire, hein, tu sais ? Du courage, petit. Ton stage là se passe bien j’espère ? Reviens nous voir de temps en temps, on ne coute pas cher ! On a plus de dents pour manger viande, donc on ne boit que Sodabi. J’attends ma bouteille, petit ».
Han ? C’est qui, lui ? Village là où on ne vient que 2 fois par an, pour un ou deux jours en tout ? Lui il connait mon parcours comme ça ?
« Neveu, tu vois pourquoi on veut rien faire ici ? On fait tout pour oublier les gens du village, mais eux ne nous oublient jamais », me dit, oncle William. Qui a dit que c’est seulement à Poudlard qu’on sait voyager à dos de balai ? Voldemor vit parfois à Bémé !
J’ai dit!
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