Répertoire de la sorcellerie moderne

Samedi 2 mars, tout frustré de ne point avoir l’affluence escomptée au shop, j’essaye de mettre au propre quelques assiettes à l’arrière boutique, lorsqu’un truc froid me passe sur les orteils, sous le lavabo. Je regarde : un lézard ! « Jesus !» (lire en anglais), me suis-je écrié, en sursautant. Le reptile aussi s’éloigne, tout aussi apeuré que moi. Je n’arrive plus à bien faire la vaisselle, car tout d’un coup, je sens des fourmillements dans ma jambe droite, j’ai des palpitations, et un léger tremblement des extrémités. Ah non, tout allait si parfaitement tout à l’heure, avant l’arrivée du lézard, que se passe-t-il ?
A votre avis ?
Nous sommes en Afrique, rien n’est fortuit, chers lecteurs. Et ce lézard là, ce n’est pas un hasard ! C’est le mauvais œil, je vous dis ! Un cousin qui envie mon fast-food, un oncle qui veut me piquer des secrets, un concurrent au sein du marché de Cacaveli qui veut m’ôter l’usage de mes membres inférieurs. … Et pis, depuis le passage de ce lézard, plus un seul chat, au shop ; aucun client, aucune commande ! Ah non, c’est trop facile ! Comment me suis-je laissé prendre si facilement ? J’ai été atteint par le sort, mes ennemis ont-ils eu raison de moi ?
Entre superstitions et réalité, il n’y a qu’un pas.
Chers lecteurs, j’ignore comment ce genre de choses sont interprété chez vous ! Mais à Lomé, un gosse qui pleure tard dans la nuit, c’est mauvais signe ; un nouveau né qui ne dort pas entre minuit et trois heures du matin est sûrement possédé par un esprit malin ; une belle-mère qui somnole dans le canapé et commet la maladresse de ronfler vient de prouver qu’elle veut briser ton foyer ; et si jamais, à cause de la chaleur, la vieille préfère s’étendre quelques instants dehors, c’est clair qu’elle cherche une piste d’atterrissage pour son voyage nocturne. On nesait pas comment elle fait mais on sait qu’elle se rend aux USA, en Allemagne ou en France, durant le sommeil d’une nuit.
Il y a pleins d’autres choses qui semblent anodines, mais qui ne sont pourtant pas tolérées : un chat qui miaule près d’une fenêtre est à abattre systématiquement ; une chèvre hors de l’enclos la nuit, les battements d’ailes d’un oiseau, un chien qui aboie, sans avoir vu personne… ou encore le fait de regarder de trop près dans la marmite de la revendeuse de riz, l’achat effectué avec une pièce un peu usée, le fait d’éternuer sous la fenêtre du voisin, écraser du piment après 21h… En tout cas, à Lomé, tout est suspect ! Tout.
Je me souviens même avoir entendu des hôtes me soupçonner de pratiques maléfiques, juste parce que je me grattais la gorge dans mon sommeil, suite à une allergie aux crabes, servis dans une très bonne sauce au dîner. Les pauvres ne savaient pas que je suis asthmatique.
Il est vrai que nos réalités africaines nous imposent une prudence sans égale, et une suspicion pour des faits si simples, mais de grâce, si un bambin pleure la nuit, assurez-vous qu’il n’aie pas faim, soif, ou qu’il ne souffre pas de coliques abdominales ; si vous ne voulez pas voir la belle-mère dans la cour, achetez lui un ventilo ; si un chat vous regarde du haut du toit du voisin, assurez-vous qu’il n’y ait aucune souris, là à côté de vous ! Laissons un peu Jésus tranquille, et soyons en paix, nous-mêmes.
Je me suis senti bien con, lorsque le soir, j’ai oublié mes « maux de pieds », pour m’activer à servir le flot de clients qui m’ont assailli, tard le soir. Et dire que j’ai crié Jésus, pour un simple lézard; pour rien ! « Tu ne prononceras point le nom de l’Eternel ton Dieu, en vain »…
J’ai dit.
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