Lettre ouverte aux Kabyès…

Chers frères Kabyès,
Tout d’abord excusez-moi pour le canal de ce message. Il aurait pu être plus formel, plus respectueux, plus discret et il aurait dû suivre une procédure bien précise. Mais bon, je ne maîtrise pas vraiment vos us et coutumes, alors je m’adresse directement à la majorité ; en tout cas ceux d’entre vous qui savent lire.
Il ne fait plus de doute que vous autres Kabyès, êtes une ethnie forte. Vous êtes des gens dignes, honnêtes, probes, droits ; vous êtes des gens loyaux, travailleurs, respectueux, et forts. Et cette force qui caractérise vos hommes, vous en faites montre chaque année, à travers vos luttes traditionnelles, Evala. Il ne fait non plus aucun doute que, pouvoir politique aidant, ces luttes traditionnelles sont devenues, une fête nationale, qui s’imposait tacitement aux autres togolais. Au fil du temps, nous avons tous pris gout à ces luttes, et n’hésitons plus à nous joindre à vous, le moment venu.
Eh bien, cette année encore, chers frères Kabyès, vous vous soumettrez à ces rites ancestraux, aujourd’hui modernisés. Et selon ce qui se dit, cela se déroulera, cette année, en ce même mois de Juillet ; j’ignore quel jour précisément, mais c’est en Juillet, donc dans un avenir très proche. Le but de ma lettre, c’est de solliciter respectueusement, auprès de votre plus que haute bienveillance, le report des luttes traditionnelles « Evala ».
Ma prétentieuse demande n’est pas motivée par ces foutues élections législatives qui nous divisent et qui nous font perdre du temps et de la salive pour rien. Non, je n’oserai jamais solliciter le report de ces luttes traditionnelles juste à cause de cette comédie électorale qui se passe également en Juillet. Non ! Ce qui motive ma demande est bien plus grand, bien plus noble, et bien plus rassembleur. Le motif pour lequel je demande le report des luttes Evala, mérite qu’on se penche dessus, qu’on étudie la chose, qu’on cogite dessus sérieusement, et qu’on fasse quelque chose.
Eh bien, c’est simple : en Juillet, très prochainement d’ailleurs, nous autres musulmans, entamerons le Ramadan, le jeûne, ou le carême, pour faire plus simple. Et vous n’êtes pas sans savoir que cette période est celle de toutes les privations, pour les musulmans : nourritures, boissons, pensées perverses, sexes, activités trop festives, en tout cas non-religieuses. Or vous convenez volontiers que c’est tout ce qui accompagne ces luttes traditionnelles.
Oh, Kabyès, ayez pitié…
Dans mon cours d’Histoire, au Cours Primaire, on m’a appris que parmi les éléments venus du Nord, vous autres Kabyès êtes tombés du ciel. Mais moi je suis sûr que c’est faux, et que vous et nous (nous autres Kotocoli), sommes très frères. Ecoutez les supplications du petit Kotocoli que je suis.
Une chose est sûre, en période de Ramadan, nous autres Kotocoli musulmans, ne pourrons guère nous rendre à Kara. Et pourtant nous avons aussi une irrépressible envie de nous y rendre, retrouver nos autres frères du Togo qui prendront des congés pour l’occasion, ou qui déserteront délibérément leurs postes et services pour votre fête traditionnelle. Nous autres Kotocoli, voulons également faire une forte délégation de Sokodé, faire des réservations dans les hôtels sans étoiles ou les motels crasseux de Kara, pour assister aux luttes Evala.
Ayez pitié. Nous aussi nous voulons regarder, admirer, convoiter, toucher, déguster et savourer toutes vos belles filles, à la beauté sauvage et naturelle, à la chair tendre et ferme, qui se livrent presque gratuitement durant ces périodes de retrouvailles, désormais nationales. Ayez pitié, chers amis Kabyès. Nous voulons aussi participer à l’orgie ; et ce n’est possible qu’après le Ramadan, pas pendant !
Cela vous coutera quoi, de reporter de quelques semaines ces luttes, histoire de nous permettre aussi de nous gorger de votre bière locale, dans toute sa pureté, sa diversité, et surtout son abondance ? Nous sommes fatigués des Tchouk et Tchakpa mal cuits de Lomé ou de Sokodé ; nous voulons nous fondre dans la masse, et nous délecter du précieux nectar, de cet authentique jus de mil, servi dans de sales calebasses. Nous mourrons d’envie de profiter aussi de la promotion de la Brasserie sur les bières Castel, Eku, Awooyo, durant ces périodes. Ne sommes nous pas tous fils du Togo ?
Toutes ces viandes, licites ou non, qu’on frits, qu’on braise, qu’on grille, qu’on sèche, et qu’on vend à vil prix, aux alentours des aires de jeux, pourquoi voulez-vous nous en priver, hein ? Ces viandes de mouton, de boucs, de bœufs, de chiens, de chats, de porcs, de truie, de coq et de poule, de varan et de serpent, de perdrix et d’éperviers, de lièvre et d’écureuils, toutes ces merveilles culinaires, œuvre du génie Kabyè, pourquoi ne voulez-vous point qu’on en profite ensemble, cette année, hein ?
S’il vous plaît reportez ces luttes, car de toute façon, durant elles, seul le cœur de la ville de Kara bat normalement. Cela me sert à quoi de rester à Lomé, à Sokodé, ou à Cinkassé, durant les luttes traditionnelles en pays Kabyès, alors que le Président de la République, le Premier valet et ses ministres, sont à Kara ? Je ferai quoi à Lomé, lorsque je peux me rendre à Kara, avec mon Curriculum Vitae sous le bras, dans l’espoir d’y croiser un Directeur de Société, un Directeur de Ressources Humaines, un Chef Département Juridiques ou Risques ? Hein ?
Pitié, reportez ces luttes, car, que nous y soyons ou pas, nous ne verrons que cela à la télé. Toutes nos chaines retransmettent bêtement ce qui se passe à Kara, durant vos luttes traditionnelles. Chers amis Kabyè, vous voulez vraiment nous infliger cela, en cette période de ramadan ? Hein ? Vraiment ? Vous-même regardez l’encre de l’amertume dans laquelle j’ai trempé mon curseur ce soir, pour rédiger cette lettre…
D’ailleurs, il est impératif que ces luttes soient reportées, car vous vous en doutez peut-être, vos luttes sont désormais tout sauf traditionnelles. Elles ont été instrumentalisées, politisées, et même « économisées ». Vos fils ne se battent plus trop pour l’honneur de leurs famille et village, mais pour les sponsors et pour les sociétés qui leur confectionnent leur culottes et prends en charge certaines de leur charges, durant les entraînements. Il n’y a même plus de fair-play, entre les lutteurs.

Vous semblez vous livrer annuellement à un théâtre national. Les politiciens se sont transformés en metteurs en scène, et vous ne leur refusez plus rien. Eh bien le spectacle a pris, et nous sommes désormais friands de vos scènes. Le spectateur Kotocoli que je suis n’aimerait pas rater la représentation de cette année. Si vous pouvez consulter le calendrier politique du Président, au lieu des mânes des ancêtres avant de fixer la date de vos luttes traditionnelles, alors vous pouvez aussi attendre que je finisse mon Ramadan.
Je ne vous demande pas de m’attendre, moi, Aphtal ! Je vous demande d’utiliser votre fête pour la cohésion et l’unité nationale, vu que c’est l’une des rares occasions où tous les togolais, quelque soient les tendances politiques, les origines ethniques ou sociales, se retrouvent ensemble, dans la crasse de Kara, agglutinés près des aires de luttes, pour voir les lutteurs mordre la poussière. Vous pouvez aller au-delà de la simple lutte Kabyè, pour faire de l’Evala, une fête véritablement nationale.
Mais en attendant que cela n’arrive, profitons de votre soumission à la politique. Faure n’est pas musulman, mais attendez quand même la fin du Ramadan. Vous ferez des hommes heureux, et la fête ne sera que plus belle.
J’ai dit !
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