Article 100: Le Bruit de mon silence…

Au début de mon aventure sur ce blog, je me suis promis d’être véridique et sans artifices, avec mes lecteurs. C’est fort de cette promesse, que mes articles ont toujours été des témoignages, de ma vie à moi, de mon quotidien, celui de mes proches, ou de mon entourage. Bref, j’ai décidé d’être dans le réel, de dire ce que je vois et entends. Et longtemps durant, j’ai cru ce pari gagné, au gré des commentaires et messages privés de certains lecteurs. J’ai longtemps cru, livrer un témoignage fidèle et transparent de ce qu’est ma vie à moi.
Mais récemment, en discutant avec une lectrice ivoirienne, (elle se reconnaîtra), j’ai réalisé que j’étais dans le faux, et que je mentais, volontairement ou non, à mes lecteurs. On s’était échangé les salamalecs, et chacun a pris des nouvelles de l’autre, comme nous le faisons chaque matin. Après quelques échanges, elle me fait cette réponse :
« Ah Aphtal, tu es en train de me décevoir deh; ce n’est pas du tout cette image que je te connais hein, en tout cas l’image de toi que tu laisse sur ton blog, mon cher ! Où est passé ta joie de vivre, ton courage indien là, ton humour mal mal là, et ton optimisme (…) »
J’allais accuser l’humour ivoirien, si un autre lecteur, togolais celui-là, ne m’avait pas envoyé cet autre message sur Facebook :
« Enfin je te retrouve. (…) Comment tu fais pour que ta vie sois si passionnante, et digne d’un film de Hollywood ? (…) je te connaissais, enfin je te voyais à la fac ; je te détestais un peu car tu faisais la grosse tête, toujours sapé comme un prince, façon gosse de riche qui s’en fou des autres quoi (…) »
Ces deux échanges, a priori, m’ont fait rire, à gorge déployée, d’ailleurs. Mais à voir de près, ces deux interlocuteurs avaient parfaitement raison. Ils ne se sont arrêtés qu’aux caractères qui s’affichent sur leur écran, en venant sur mon blog ; comme beaucoup d’entre vous d’ailleurs ! Ils ne se demandent pas ce qui se passent de l’autre côté de l’écran.
L’énorme fossé entre moi et ce que véhiculent mes écrits…
Je ne suis pas ce personnage toujours fantasque, témoin de scènes bizarres, acteur de scènes louches ou fabuleux. Je suis ce togolais, de moins de 25 ans, ambitieux et rêveur, comme tout jeune de son âge. Je fais partie de cette génération d’étudiants, jadis zélés, rapidement sacrifiés sur l’autel du LMD. Oui je fais partie de ces étudiants juristes qui détestent les Professeurs Adjita, Deckon, Kpodar et consorts.
Je fais partie de ces jeunes qui, pas très diplômés, sans compétences ni qualifications, s’ennuient à la maison à longueur de journée, et passent le clair de leur temps à maudire Faure et son gouvernement, à s’en prendre à tout…et à rien. Je fais partie de ces jeunes qui se sentent délaissés, oubliés, et abusés, par la politique d’éducation et d’emploi du Togo.
Je fais aussi partie de ces aînés qui, toute honte bue, tendent chaque matin la main pour le petit déjeuner, et qui, le soir, rasent les murs de la cuisine, à l’affût d’un fumet en provenance du foyer maternel. Que voulez vous, on a beau crier à la dignité, l’estomac a ses impératifs. Je suis ce « bon à rien », qui regarde impuissant, sa mère se plier en quatre pour assurer les repas quotidiens.
Je fais partie de ces jeunes togolais qui pensent servir à quelque chose, qui se voient utiles, mais qui ne sont rien de plus que de beaux porcs, nourris et blanchis par le parent aux moyens très limités. Je ne sais pas pour vous, mais, être improductif, et être budgétivore, si ce n’est pas de l’inutilité, alors passez moi le mot.
Je fais aussi partie de ces jeunes togolais qui, soucieux de leurs images, passent le clair de leur temps sur les réseaux sociaux, alors qu’ils n’ont pas de connexion internet, ni même d’ordinateur. Oui, il y a une catégorie d’abrutis qui, au lieu de se nourrir, préfèrent faire la fortune des cybercafés de la capitale ; et j’en fais partie.
Je fais partie de ces togolais qui ne savent plus trop où donner de la tête, et qui, malgré un légendaire sourire aux coins des lèvres, cachent une profonde tristesse, une amertume sans bornes, et une douleur, sans valables raisons. Nous avons de beaux yeux et de jolis visages (enfin je l’espère), parce que nous interdisons à nos larmes de couler.
Ces togolais qui ont peur de faire partie des associations ou des groupes organisés, juste à cause des cotisations, j’en fais partie. Ces jeunes hommes, aigris et polis malgré eux, qui marchent sur les boulevards, la tête dans les nuages, j’en fais partie. Regardez bien dans les bars et buvettes, ces gars qui boivent prudemment et qui se lèvent pour pisser au moment de l’addition, vous me reconnaîtrez.
Ces jeunes hommes qui ne croient plus en l’amour pur et désintéressé, ces gars qui refusent de se laisser séduire par ces innocents sourires de jeunes filles, et qui admirent leurs fesses sans s’en approcher, il y a un Aphtal parmi eux. Ces gars qui ont peur de s’attacher à une fille, de les aimer véritablement et de faire leur bonheur, juste à cause des frais que cela induit, j’en fais partie.
Mes activités virtuelles sont un moyen pour moi de m’extirper de la poignante réalité qui est mienne. Et plus je suis actif sur les réseaux sociaux, plus le retour à la vie réelle est douloureux et angoissant. Ne vous inquiétez pas s’il n’y a plus de nouveaux articles sur ce blog, ou si mes comptes Facebook et Twitter sont inactifs. Je suis en train de me chercher.
L’autre Lundi , j’ai eu le malheur de rentrer au salon de coiffure de Cacaveli, au moment où passait la chronique Génération causante dans Couleurs Tropicales sur RFI. Lorsque le coiffeur a entendu une voix appeler mon nom, il m’a clairement dit ceci :
« Eh DG, toi tu es une valeur sûre comme ça, jusqu’à on t’appelle sur RFI et tu veux qu’on te coiffe à 200 F seulement ? Azéa, pour toi maintenant là 500 FCFA ou rien ».
J’en ai ri, alors que le gars était sérieux.
Lorsque je suis sorti du salon, sous les regards curieux ou admiratifs des autres clients, j’ai juste secoué le crâne et répété cette phrase d’un chanteur togolais qui dit :
« je viens du tiers-monde ; là où y a pas de honte, où tu peux crever la dalle mais tu reste star sur les ondes (…) ».
Eh oui ! Aphtal : 6 lettres qui ne veulent absolument rien dire en dehors de ce blog. Je vous dis quand même merci pour l’intérêt que vous portez à mes écrits. De toutes façons, on s’en fou. Ce n’est qu’une discussion par écrans interposés. Vous pouvez en rire, ou en faire ce que vous voulez.
Ce billet n’est pas une confession. Il vaut ce qu’il vaut. Faites comme d’habitude. Lisez, et disparaissez. Rendez-vous dans un autre article; si autre article, il y a.
J’ai dit !
Dédicace à Marie-Danielle Ibohn, Nathalie Kangami, Emile Bela, Rita Fourlin, Babeth Lizy… ceux là qui savent lire entre les lignes…
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