Nos routes nous tuent, nos policiers s’en foutent

Nombreux d’entre vous me traiteront sûrement d’Aphtal La poisse, tellement je suis pris dans de situations peu joyeuses. Mais rassurez-vous, je ne suis pas maudit, je n’ai pas la poisse. Ce n’est que le quotidien d’un juriste évoluant dans un pays qui viole allègrement la Loi fondamentale de la République, et qui piétine les droits les plus élémentaires des citoyens. Aujourd’hui, j’ai trop la haine pour faire une longue introduction.
Hier, j’étais invité à un déjeuner privé au consulat d’Allemagne au Togo. Comme à ce genre de soirée, on devient adepte de la sapologie. De deux maux, le moindre. Ma sape était bien trop impeccable pour me taper un transport public, alors j’opte pour le taxi. Ce n’est point forcément le meilleur moyen de déplacement à Lomé, mais c’est un moindre mal. J’étais donc à la petite station d’Adidoadin, et les taxis n’étaient pas vraiment rares, à cette heure, où l’embouteillage se fait en sens inverse de celui de la matinée. Je m’installe à l’avant du véhicule, reluquant plusieurs fois ma montre, pour extérioriser mon impatience. Quand on va bouffer chez un consul, vaut mieux être là bien avant l’apéritif. Suivez mon regard…
Deux revendeuses de poissons me rejoignent dans le taxi, et nous contraignons le conducteur à démarrer. Il n’était pas vraiment content, puisqu’il y avait dans la voiture encore une place vide à l’arrière. Du coup, au lieu de rouler régulièrement et vite, le conducteur ne cessait de klaxonner, la main gauche au dessus du véhicule, hurlant à ceux qui trainaient sur le trottoir « oléyia oléyia » (C’est un mot utilisé par les conducteurs de taxi et taxi-moto à l’endroit des clients, pour leur demander, littéralement, on y va ?). C’était la meilleure façon de me retarder. J’étais déjà en boule, mais que faire ? Le mec ne faisait que son job. A quelques kilomètres de la station, exactement au niveau de la maison de l’international togolais Emmanuel Adebayor, un jeune homme fit signe au taxi de s’arrêter. Il fait le prix, et monte à bord. Ok on est parti.
Le taxi se met à rouler un peu plus rapidement, et j’étais un peu plus rasséréné. J’imagine les saucisses et les bières allemandes que je m’en vais manger dans quelques instants et avale tranquillement l’abondante salive produite par mes papilles gustatives un peu trop excitée. J’essayais de réviser mon allemand, en mimant un dialogue, lorsqu’à nouveau, le taxi s’arrête. Nous n’étions qu’à hauteur de l’hôtel Todman, un peu avant le quartier Casablanca. Le temps de me tourner vers le chauffeur pour lui demander ce qui n’allait pas, une dame se penche du côté de ma portière, et négocie le tarif pour le Grand Marché de Lomé. Le chauffeur acquiesce, et la femme ouvre la portière, attendant que je lui fasse de la place.
Puis vint le clash…
Le chauffeur, voulait faire de la surcharge, ce que je ne suis pas prêt à accepter, surtout lorsque c’est à moi de me tasser. J’explique d’abord au chauffeur que je ne suis pas d’accord pour partager le siège avant avec une dame bien en forme, toute en sueur, et… le chauffeur se mit à me supplier, me parlant de solidarité, d’humilité, et de respect envers une dame qui pouvait être ma mère. « Dans ce cas, mon frère, je retourne m’asseoir à l’arrière, pour que celui qui y est humble vienne s’assoir près de la dame », proposais-je. Mais apparemment personne n’était enchanté par mon idée, et aucun de ceux qui étaient à l’arrière ne voulait faire le trajet coincé entre le levier de vitesse, et la large hanche d’une dame.
Le chauffeur commence alors à hausser le ton, et à me gronder. Je lui dis tout candidement que ce n’était pas forcé de faire le trajet avec moi. S’il tient tant à embarquer la dame, je descends pour chercher un autre taxi. Soit ! Il m’intime l’ordre de descendre de son taxi, me traitant de « gonflé, impoli, pauvre type en cravate incapable d’avoir son propre moyen de déplacement, et empêchant un honnête citoyen dans l’exercice de ses fonctions. ». Je descends, puis il tend la main, réclamant la moitié du tarif initialement convenu.
« Fofo, on avait un contrat, celui de me conduire jusqu’au Boulevard. Tu ne remplis pas tes obligations en me descendant à Todman, je ne remplirai pas la mienne, tu n’auras rien ».
Voilà, c’est comme ça que je comprenais la chose, moi. Immédiatement le gars ouvre la porte et se rue vers moi. Il me tient par le col, et se mit à hurler. J’étais toujours calme, impassible, silencieux. Un conducteur de moto-taxi s’arrête, et s’approche pour savoir ce qui se passe. Le chauffeur donne sa version, je donne la mienne, et le gars désapprouve la conduite du chauffeur. Des passants qui prennent connaissance du fond du dossier, tranchent en ma faveur. Mais le chauffeur n’en démord pas. Il exige que je lui paye au moins 200 FCFA. Je n’étais pas du tout d’accord.
Puis arriva un troisième larron.
Il n’y avait pas grand monde, mais les cris et hurlements du chauffeur alertent les policiers qui réglaient la circulation au carrefour Todman. L’un d’entre eux, pas vraiment enchanté d’avoir été délégué pour régler le litige, s’approche, nous sépare, avant de nous donner la parole. Le chauffeur plaida le premier. Lorsqu’on me donne enfin la parole, sûr d’avoir raison, et comptant sur le professionnalisme du policier, je dis tout simplement : « Chef, j’ai pris le taxi à Adidoadin, pour le Boulevard. Arrivé ici, le taximan décide de faire de la surcharge, en embarquant encore cette dame. Je ne suis pas d’accord, et il me sort de sa voiture. Si on s’est convenu de 400 FCFA pour le boulevard, pourquoi veut-il me faire partager ma place avec une dame ? Voilà ce qui nous oppose ».
Le policier se tait un instant, comme pour réfléchir, même si on sait que ce n’est généralement point le cas. Sa sentence était sans appel.
« Hé, Monsieur, vous aussi vous êtes trop compliqué. C’est la première fois qu’on vous serre à l’avant ? Hein ? Vous aimez faire trop le malin dans ce pays, vous les civils là. Rapidement donne 200 FCFA au chauffeur, et fous nous la paix. Allez, donne ! C’est dans vous ça. Donne avant que je ne parte. »
J’étais carrément ébahi, abasourdi, étonné, consterné, hébété, ahuris, surpris. Eh ?? Dans ce pays, les policiers se mettent à cautionner les surcharges ? Sans blagues ! A supposer (simple supposition) qu’une disposition de notre code la route permette la surcharge, permette jusqu’à huit passagers à bord d’un véhicule de cinq places, le blanc qui a fabriqué ce véhicule, l’a-t-il autorisé ? A-t-il eu tord, de fabriquer un véhicule qui ne sert qu’à 5 personnes ?
Le chauffeur, lui, s’en tire avec 200FCFA, moi je renoue honteusement ma cravate, devant un agent de la police routière complaisant. Dans ce pays, tout est anormal. Ceux qui sont chargé de respecter la Loi, et de la faire respecter, sont les premiers à la violer. D’ailleurs, pourquoi je me plains ? Les bus officiels (SOTRAL, Université de Lomé et Kara) font de la surcharge à outrance. Nul ne s’en plaint. Ce n’est pas un pauvre type comme moi qui interdirait la pratique aux chauffeurs.
Il y a longtemps que je refuse la surcharge, mais à partir de ce moment, il y a quelque chose de plus que je refuse : C’est d’éprouver de la pitié ou de la compassion pour tous ceux qui meurent et qui mourront dans un accident impliquant un véhicule surchargé. Ils l’auront cherché. Je suis piéton, certes ! (enfin pour le moment), mais je refuse de me déplacer dans des conditions déplorables. Crevez sur les routes, si vous voulez, mais j’aurais compris une chose : Les peuples n’ont que les dirigeants qu’ils méritent.
J’ai dit !
Commentaires